Par

Xavier Paccagnella

Publié le

10 déc. 2025 à 12h27

Par leur personnalité, leur histoire, leur passé professionnel, elles sont différentes. Mais par leur sensibilité, leur justesse, leur ambition pour l’Art, elles se ressemblent. Et désormais, elles forment un duo aussi inattendu que complémentaire à l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie. D’un côté, on retrouve Valérie Chevalier, directrice générale, figure respectée et distinguée du monde culturel à l’échelle internationale. De l’autre, Virginie Brugues, secrétaire générale fraîchement arrivée du secteur privé, elle aussi bien connue de l’écosystème régional. Ensemble, les deux femmes incarnent une ambition : faire de cette institution centenaire un acteur économique et sociétal majeur du territoire. Rencontre dans les coulisses de l’Opéra Comédie, où se mêlent partitions de génies et stratégies d’entreprise. Interview

Métropolitain : Virginie, en vous choisissant, l’Opéra de Montpellier a nommé il y a quelques mois une secrétaire générale qui ne vient pas du monde culturel. Vous faisiez clairement figure d’outsider. Ce choix vous a-t-il surpris ?

Virginie Brugues : Spontanément, j’ai aussi été interrogative. Mais très vite, le doute a laissé la place à cette conviction profonde que je pouvais clairement apporter ma pierre à l’édifice. En rencontrant Valérie Chevalier, le président Bernard Serrou et l’administratrice Anne Laffargue, j’ai compris qu’il y avait une vraie volonté de transformation. Pas de révolution, attention, mais une évolution franche et constante. L’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie est une institution magnifique, riche de plus de cent ans d’histoire, d’un orchestre et d’un chœur permanents à la réputation internationale, d’une programmation exigeante… Mais comme toute grande maison, il doit s’adapter aux réalités économiques et sociétales de son époque. Il s’avère que sur le sujet, j’en connais un rayon (rires). Mon humble rôle, en tant que secrétaire générale, c’est d’accompagner cette adaptation avec des méthodes et des outils qui ont fait leurs preuves ailleurs. Nous avons une responsabilité immense : faire vivre un équipement culturel majeur, avec deux cent salariés permanents, 165 spectacles par an, un budget de 23,9 millions d’euros à respecter. C’est une entreprise, au sens noble du terme.

Quelle image l’Opéra renvoie-t-il aujourd’hui, selon vous ?

Valérie Chevalier : L’image de l’opéra est complexe, parce qu’elle charrie deux siècles de représentations sociales. Oui, l’opéra a toujours cette image élitiste qui lui colle à la peau. Mais il a profondément changé. Notre mission de service public nous engage à être accessibles à tous. Cela passe par la diversité des propositions artistiques, par une politique tarifaire volontariste, par notre présence sur tout le territoire métropolitain et au-delà. Nous travaillons avec des EHPAD, des structures médico-sociales, des centres sociaux… Mais auprès des publics jeunes, mais aussi moi-même. Une programmation est même dédiée à la petite enfance et au grand âge, avec des abonnements et des horaires adaptés.

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« Nous sommes l’un des opéras les moins chers de France » ©Mario Sinistaj

Virginie Brugues : Quand j’en parlais autour de moi avant d’arriver, beaucoup me disaient : « L’Opéra ? C’est élitiste, c’est cher, ce n’est pas pour nous ». Cette perception est tenace mais, franchement, elle est dépassée. La réalité de l’Opéra Orchestre est toute autre : c’est une programmation accessible dès dix euros ! Nous sommes l’un des opéras les moins chers de France et cela est rendu possible notamment grâce aux subventions des collectivités territoriales. L’Opéra Orchestre ce sont aussi des formats innovants comme les afterworks, le yoga en musique ou les concerts immersifs, un travail titanesque mené par nos équipes de médiation auprès des scolaires, des quartiers prioritaires, des publics éloignés de la culture. Mais il y a encore un décalage entre ce que nous faisons et l’image perçue. Mon travail, c’est aussi de réduire ce fossé. L’Opéra n’est plus une citadelle, c’est un lieu de vie, d’émotions partagées, de rencontres entre des mondes qui ne se croisent pas d’ordinaire.

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« L’Opéra n’est plus une citadelle, c’est un lieu de vie, d’émotions partagées, de rencontres entre des mondes qui ne se croisent pas d’ordinaire »

Concrètement, que proposez-vous aux entreprises du territoire ?

Virginie Brugues : Nous avons structuré (et continuons de le faire) une offre sur mesure qui va bien au-delà du simple mécénat. Bien sûr, il y a le volet classique : soutenir un projet artistique ou pédagogique, co-brander un concert, bénéficier d’une visibilité lors de nos événements. Mais ce qui intéresse vraiment les dirigeants aujourd’hui, c’est la dimension expérientielle et le sens profond de l’action. Nous proposons des soirées privatisées dans les foyers de l’Opéra, avec visite des coulisses, rencontre avec les artistes, concerts privés, locations de loges VIP. Nous développons aussi des after-works ou petit-déjeuner d’entreprise, des programmes de team-building. Et puis il y a la dimension RSE, qui devient centrale. Les entreprises cherchent à donner du sens à leur engagement territorial. En soutenant l’Opéra, elles contribuent à l’excellence artistique, à l’éducation, à la cohésion sociale. Nos actions de médiation culturelle touchent près de 25 000 personnes par an. Nous emmenons la musique dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les prisons. Un chef d’entreprise qui nous soutient participe à cette mission. C’est tangible, c’est local, c’est transformateur.

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 » Nous devons professionnaliser la gestion de la relation donateurs et mécènes » ©Mario Sinistaj

Virginie, parmi les méthodes venues du privé, lesquelles appliquez-vous ici ?

Virginie Brugues : Nous devons marketer notre offre B to B et professionnaliser la gestion de la relation donateurs et mécènes, le pilotage par la data, l’optimisation de nos ressources propres. Nous avons mis en place des outils de suivi de performance, un CRM efficace, structuré notre démarche commerciale. Cela peut sembler trivial, mais dans le monde culturel, ces pratiques ne sont pas toujours la norme.

Comment mesurez-vous le rayonnement de l’Opéra aujourd’hui ?

Valérie Chevalier : Notre rayonnement se mesure à plusieurs échelles. Localement, nous sommes l’une des institutions culturelles les plus importantes de la région, avec 250 levers de rideaux par an et plus de 146 000 spectateurs. Nous coproduisons avec de grands opéras français et européens. Nos captations sont diffusées sur Radio Classique, France Musique, sur Opera Vision. Nous lançons de jeunes artistes qui font ensuite carrière à la Scala de Milan ou au Metropolitan Opera de New York. Ce rayonnement est le fruit d’une exigence artistique jamais négociée. Mais il est aussi économique : nous générons de l’activité, de l’emploi, de l’attractivité territoriale. Quand les spectateurs viennent assister à une représentation, ils dorment à l’hôtel, dînent au restaurant, visitent la ville. L’impact est réel.

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« L’expérience commence bien avant le lever de rideau » ©Mario Sinistaj

Parlons de l’expérience proposée au public. Comment la faites-vous évoluer ?

Virginie Brugues : L’expérience commence bien avant le lever de rideau. Nous travaillons sur le parcours complet du spectateur : de la découverte de la programmation à l’après-spectacle. Comment rendre l’information plus accessible ? Comment faciliter la réservation ? Comment accueillir chaleureusement, y compris les primo-visiteurs qui peuvent être intimidés ? Nous proposons des conférences gratuites avant certaines représentations, où un médiateur présente l’œuvre, son contexte, ses enjeux. Nous développons des contenus digitaux : podcasts sur la création d’un spectacle, interviews d’artistes, jeux-vidéos autour de nos opéras. L’idée, c’est de créer de l’envie, de lever les freins psychologiques, de dire : « Venez comme vous êtes, l’Opéra vous appartient ».

Nous expérimentons aussi de nouveaux formats. Les concerts immersifs, où le public est au plus près des musiciens, ou en plein air, dans les parcs et jardins. Les projections d’opéras sur écran géant au Peyrou. Notre responsabilité est de transmettre un patrimoine, de créer des œuvres contemporaines, de révéler de jeunes talents. L’émotion lyrique, c’est quelque chose d’unique : des voix qui vous traversent, une musique qui vous submerge, une mise en scène qui vous questionne. Cette intensité, on ne la trouve nulle part ailleurs. Notre mission, c’est de faire vivre cette expérience au plus grand nombre, et surtout dans une dynamique collective.

Comment s’intègre la dimension « RSE » dans votre stratégie globale ?

Virginie Brugues : La RSE n’est pas un vernis, c’est structurant et ce sont nos externalités positives qui le prouvent : Plus de 24 000 personnes par an bénéficient de nos actions culturelles ! Nos actions de médiation, notre travail avec les publics empêchés comme les malentendants ou malvoyants, les neuro-atypiques ou encore avec les scolaires, les quartiers prioritaires…ne cessent d’affirmer notre rôle d’acteur culturel responsable et ancré dans la vie du territoire. Quand je parle de territoire, nous irriguons toute l’Occitanie avec chaque saison une cinquantaine de concerts en région qui touchent plus de 40 000 personnes. Nous proposons aux entreprises d’être parties prenantes de cet engagement et contribuer concrètement à rendre la culture accessible à tous. 

Comment se porte financièrement l’Opéra Orchestre national de Montpellier Occitanie ?

Valérie Chevalier : Comme toutes les institutions culturelles, nous faisons face à des défis économiques importants mais nous avons la chance d’être soutenu par nos tutelles, notamment la Métropole de Montpellier, la Région Occitanie et la DRAC, le Département de l’Hérault. Notre budget est 23,9 millions d’euros, financé à 82,3% par des subventions publiques et à 17,7% par nos ressources propres : billetterie, mécénat, prestations, coproductions, appel à projets… La part publique reste globalement stable mais nos coûts augmentent, ce qui nous oblige à développer nos ressources propres. On ne peut plus être si dogmatique, financements publics et privés ne sont plus opposables. Une forme d’équilibre est incontournable.

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« Mon apport, c’est aussi de traduire » ©Mario Sinistaj

Nous avons augmenté notre taux de remplissage, diversifié notre offre, professionnalisé notre recherche de financements privés. Nous naviguons dans un contexte contraint, certes. Mais l’inflation touche l’ensemble du secteur culturel. Nous devons être inventifs, rigoureux, audacieux, agiles. Mais nous avons la chance de pouvoir compter sur des forces permanentes d’excellence et une sur une qualité artistique qui fait notre identité.

Virginie, quel regard portez-vous sur l’Opéra Orchestre après ces premiers mois ?

Virginie Brugues : Un regard sincèrement admiratif. Je découvre des métiers d’une complexité inouïe, exercés avec une passion et un professionnalisme remarquables. Notre cheffe de chœur qui prépare quatre productions simultanément, nos techniciens qui réalisent des prouesses scéniques avec des moyens contraints, nos costumières qui recréent des époques entières fil après fil. Ce qui me frappe, c’est l’engagement des équipes. Tout le monde est habité par la mission : faire vivre l’art lyrique, transmettre, émerveiller. C’est bouleversant. En même temps, je constate que le monde culturel a parfois du mal à valoriser son impact, à parler le langage économique qui permettrait de convaincre de nouveaux partenaires. Mon apport, c’est aussi de traduire : expliquer aux mécènes potentiels pourquoi nous avons besoin d’eux, ce que leur soutien rend possible concrètement, quel retour ils peuvent en attendre, pas forcément financier mais en termes d’image, de fierté, de sens.

Quels sont vos projets majeurs pour les prochaines années ?

Valérie Chevalier : D’abord, continuer à diversifier notre programmation pour toucher de nouveaux publics, en créant des passerelles avec d’autres disciplines artistiques. Poursuivre, aussi, le développement de notre présence sur le territoire : l’Opéra n’est pas un patrimoine architectural dormant du centre-ville, mais une ressource qui irrigue toute la région Occitanie. Nous voulons multiplier les résidences dans les quartiers, les concerts hors-les-murs, les projets participatifs. Enfin, il y a un enjeu de transmission : soutenir les artistes émergents, accompagner les musiciens et chanteurs amateurs, mais aussi former le public de demain en ouvrant grand les portes aux jeunes générations. L’Opéra est un lieu de partage par l’excellence. On doit le faire savoir.

« L’Opéra est un lieu de partage par l’excellence »

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« On a mille projets dans les cartons. » ©Mario Sinistaj

Virginie Brugues : De mon côté, je travaille sur un plan de développement et de diversification des ressources qui vise à augmenter significativement nos recettes propres. Cela passe par une stratégie de mécénat plus offensive, certes, mais cohérente avec les objectifs. Nous proposerons des contreparties exclusives : accès aux répétitions, rencontres avec les artistes, soirées privatisées, accompagnement sur mesure pour leurs événements internes. On a mille projets dans les cartons. Nous travaillons par exemple sur la location d’espaces à l’Opéra, l’organisation d’événements corporate, la vente de packs expérientiels. Nous structurons notre démarche avec une approche segmentée : les grandes entreprises, les PME locales, les fondations, les particuliers. Chacune de ces cibles nécessite un discours, une offre adaptée. Nous construisons aussi des partenariats avec des écoles, des réseaux professionnels. L’enjeu, c’est de diversifier nos soutiens pour ne pas dépendre d’un nombre limité de contributeurs.

« Soutenir l’Opéra Orchestre, c’est un investissement stratégique dans l’attractivité de notre territoire, dans son rayonnement, dans sa capacité à attirer et retenir les talents. C’est aussi associer votre marque à l’excellence, à la créativité, à des valeurs universelles » 

Votre message aux chefs d’entreprise qui nous lisent ?

Virginie Brugues : Venez nous rencontrer ! Poussez les portes de l’Opéra, assistez à un spectacle, échangez avec nos équipes. Vous découvrirez un univers fascinant et vous comprendrez pourquoi nous avons besoin de vous. Soutenir l’Opéra Orchestre, c’est un investissement stratégique dans l’attractivité de notre territoire, dans son rayonnement, dans sa capacité à attirer et retenir les talents. C’est aussi associer votre marque à l’excellence, à la créativité, à des valeurs universelles. Et puis, franchement, offrir à vos collaborateurs ou clients une soirée à l’Opéra, avec tout ce que cela comporte d’émotions et de partage, c’est un cadeau inestimable. Nous construisons des partenariats sur mesure, adaptés à vos enjeux, à votre budget, à vos valeurs. Notre porte est ouverte.

Valérie Chevalier : Mon message s’adresse à tous les habitants de la métropole : l’Opéra Orchestre vous appartient. Il est financé en grande partie par de l’argent public, donc par vos impôts. Il est là pour vous émerveiller, vous questionner, vous faire vivre des émotions intenses. Ne vous autocensurez pas en pensant que l’opéra n’est pas pour vous. Venez découvrir, testez, laissez-vous surprendre. Nous avons des tarifs accessibles, des formats pour tous les âges, des propositions qui correspondent à toutes les sensibilités. Vivez l’opéra, soutenez-le, portons ensemble ce joyau de notre territoire. C’est un bien commun précieux, qui nous élève collectivement.

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