Alors que le numérique n’a jamais été aussi présent, la papeterie connaît un étonnant regain. Notamment auprès des jeunes. Porté par une quête de ralentissement, de bien-être mais aussi de créativité, le retour à l’écriture manuscrite séduit au point de dynamiser tout un secteur.
« Ce qui m’étonne le plus, après trois ans ici, c’est la diversité d’âge de nos clients », lance Bénédicte Cadoux, vendeuse au sein de la papeterie Bahon-Rault à Rennes (Ille-et-Vilaine). En à peine une heure sur place, les générations se succèdent mais pas pour les mêmes raisons, observe sa responsable Valérie Fredj. « Nous avons autant de personnes âgées qui viennent chercher des agendas que des jeunes, filles et garçons, attirés par l’écriture, en quête d’un carnet un peu original, moins austère que le carnet classique de l’école. »
À l’étage, trois amies âgées de 20 à 22 ans recherchent le cadeau parfait pour l’anniversaire d’une copine. « Elle adore les bullet journal, on voudrait lui prendre plein de petites choses pour le décorer comme du masking tape (ruban adhésif coloré), des mini-stickers (autocollants)… mais on hésite », confesse Léna. Le « bullet journal », sorte d’organisateur personnel en version papier, fait partie de la longue liste de nouvelles pratiques d’écriture qui séduisent aux côtés du journaling (journal intime), du scrapbooking (loisir créatif consistant à mettre en valeur des photos dans un carnet décoré par ses soins), des carnets de voyage, des carnets de gratitude… Autant d’usages qui ont trouvé un nouvel élan depuis les confinements, symbole d’un réel engouement pour le retour à l’écrit.
Selon les études menées par l’Union de la filière de la papeterie (Ufipa), malgré la progression du numérique, 52 % des Français auraient encore recours à la papeterie, avec une forte représentation des moins de 35 ans. « Les plus jeunes utilisent les produits de papeterie pour un usage plus personnel. Le papier est fortement cité pour stimuler la concentration (84 %) et la créativité (84 %), mais aussi pour la mémoire (60 %). »
Un secteur dynamique
L’industrie de la papeterie se divise en deux activités : la bureautique, en recul (- 3,5 %) et la vente au détail auprès du grand public, en légère croissance (+ 1,7 %). Parmi les moteurs, Nadège Hélary, présidente de l’Association des industriels de la papeterie (AIPB) et directrice générale du fabricant de matériel de dessin et d’écriture Staedtler, pointe la volonté des parents de limiter les écrans au profit d’activités manuelles pour leurs enfants, mais aussi pour des questions de santé mentale, le besoin de ralentir le mouvement ». Les réseaux sociaux ont également joué un rôle dans la popularisation des loisirs créatifs. En parallèle, les licences et collections ont contribué à cet essor. « Des marques de stylos comme Legami ou Bic proposent différents modèles et connaissent un succès fou dans les cours de récréation et bien au-delà »,souligne-t-elle.
Cette dynamique irrigue la production française. L’AIPB, qui regroupe les fabricants, recense 8 000 salariés en France, 112 usines en Europe dont 32 sur le territoire national, pour un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros en 2024. Du côté de l’Ufipa, qui fédère fabricants et distributeurs, la filière représente 15 000 salariés pour 5,5 milliards de chiffre d’affaires. En 2025, plusieurs marques comme Bic, Pilot ou encore Clairefontaine continuent de fabriquer en France, au moins en partie. 60 % de la production est réalisée en Europe. Quo Vadis, filiale nantaise de Clairefontaine, bien connue pour ses agendas, revendique quant à elle 90 % de ses produits fabriqués en France. Au contraire de Maped, spécialiste des fournitures scolaires, qui vient d’annoncer la fermeture de son dernier site en France, un atelier de production de gommes et de compas situé à Argonay (Haute-Savoie). Sa production va être transférée progressivement en Asie. Si la concurrence accrue est en premier lieu évoquée, la baisse démographique est également mise en cause. « Depuis plusieurs années, le nombre d’enfants scolarisés est en décroissance », précise Nadège Hélary.
Art-thérapie
Derrière cette vague créative se cache une nécessité : celle de se recentrer. Certains parlent même d’art-thérapie. « Mine de rien, écrire sur du papier n’est pas la même intention que sur un écran. On prend le temps, on réfléchit avant de se lancer. Finalement, ce retour de la papeterie colle parfaitement avec cette quête du bien-être et du développement personnel. Écrire un journal intime, c’est comme une séance de yoga », sourit Marilou Le Mainn, gérante de lou-mari papeterie à Rennes.