La Genève internationale a fait de la paix l’un de ses domaines d’expertise. Des organisations comme Interpeace le martèlent: pour être efficace, un processus de paix doit être inclusif et établir la confiance entre tous les acteurs d’un conflit. Si l’on s’en tient à ces critères, la manière dont l’administration Trump et le Kremlin envisagent une fin des hostilités en Ukraine est à des années-lumière des conditions nécessaires pour forger une paix durable.

Après bientôt quatre ans de guerre, on devrait se féliciter de voir l’Amérique prendre l’initiative pour mettre fin à un bain de sang aussi absurde que dévastateur. Sauf que la méthode – la diplomatie du business – risque de rendre la situation de l’Ukraine et de l’Europe encore plus délétère. Dans ce processus, le pouvoir ukrainien, fortement affaibli par des affaires de corruption, en est presque réduit à faire de la figuration. Or, marginaliser le pays victime de l’agression russe augure mal d’une stabilisation de la région.

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L’extraordinaire proximité de Steve Witkoff, l’envoyé spécial américain, avec le pouvoir de Moscou indispose jusque dans certains rangs républicains, où Vladimir Poutine est toujours considéré comme un dictateur aspirant à recréer l’Empire russe. A voir comment Donald Trump vilipende l’Europe, il serait malvenu de sous-estimer l’alignement vertigineux de Washington sur Moscou. Steve Witkoff et le gendre du président américain Jared Kushner voient miroiter dans un rapprochement avec la Russie l’espoir de lucratives affaires. Mais peut-on jouer ainsi avec la paix comme on jouerait à la bourse?

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Ce dont Américains et Russes parlent n’est d’ailleurs pas un plan de paix. Dans sa version initiale fortement inspirée par Moscou et énumérant 28 points, celui-ci équivalait à une capitulation de l’Ukraine. Le simple fait qu’une amnistie pour tous les crimes commis en Ukraine ait pu figurer dans la version initiale en dit long sur le mépris que manifestent le Bureau ovale et le Kremlin envers le droit international. Les diplomates suisses ne cessent pourtant de le clamer: il ne peut y avoir de paix durable sans justice. Sans quoi, les germes de futurs conflits seront déjà plantés. Le texte, qui tiendrait désormais en 20 points, a-t-il évolué dans un sens positif? Rien n’est moins sûr.

L’intransigeance de Vladimir Poutine, dont l’armée continue de pilonner des civils ukrainiens, la mansuétude affolante des Etats-Unis envers la Russie et l’incapacité de l’Europe à apporter une réponse ferme à un moment potentiellement fatidique sont autant de facteurs susceptibles de provoquer un électrochoc. Mais on ne le voit pas venir. Or s’ériger contre une paix faustienne doit être un acte nécessaire pour assurer la viabilité du modèle de démocratie libérale du Vieux-Continent.