« Un beau gâchis » : l’expression revient en permanence à l’évocation du dépôt de bilan de Mayers et des promesses de son usine rennaise, parties en fumée en quelques années. Pour comprendre cette histoire, il faut remonter quelques années en arrière. Mai 2021 : le promoteur nantais Réalités annonce le rachat de Tessa industrie, une PME installée à La Mézière (35), près de Rennes, spécialiste de la construction en bois « hors-site ». Encore peu développé en France, le créneau intéresse de plus en plus. Alors que traditionnellement, la construction d’une maison ou d’un immeuble se fait directement sur le chantier, le hors-site, lui, consiste à produire en usine des panneaux ou des modules qui sont ensuite montés sur le chantier. À la clé : des coûts réduits grâce à l’industrialisation des procédés, « jusqu’à 50 % de délais de construction en moins » et l’utilisation de matériaux respectant les dernières normes environnementales, vante l’association Filière hors-site France.

Comme d’autres, Réalités croit au potentiel de ce mode de construction, qui promet de réconcilier économie et écologie et pourrait représenter 20 % des chantiers d’ici 2030. C’est pour cela qu’il choisit de se doter des capacités de production de Tessa industrie. Capacités qu’il rapproche de ses branches ingénierie et environnement au sein d’une nouvelle entité, Réalités Buildtech, et qu’il déménage en 2021 dans une nouvelle usine de 14 000 m². Destination :
Chartres-de-Bretagne (35), au sud de Rennes, dans d’anciens bâtiments du constructeur automobile Stellantis à la Janais, où la Métropole de Rennes veut créer un pôle dédié à la construction et à la mobilité durables.

« Réalités voit grand, très grand »

Pour son usine, « Réalités voit grand, très grand », rembobine un professionnel de l’immobilier dans l’Ouest, sous couvert d’anonymat (comme de très nombreux interlocuteurs dans ce dossier). Le promoteur y investit 5 M€, au sein d’une enveloppe totale de 12 M€ pour Réalités Buildtech. De quoi lancer la machine et permettre d’honorer un gros contrat signé en 2022 pour la construction d’une résidence étudiante de 520 logements pour la Rennes School of Business.

Mayers a notamment décroché le gros chantier de construction d'une résidence étudiante de 520 logements pour la Rennes School of Business.Mayers a notamment décroché le gros chantier de construction d’une résidence étudiante de 520 logements pour la Rennes School of Business. (Photo archives Le Télégramme / Guillaume Bietry)

Réalités, toutefois, voit plus loin. En mai2023, il réunit en grande pompe 350 personnes à la Janais pour une «conférence-événement» avec l’ex-ministre Arnaud Montebourg, chantre du «made in France», en invité de marque. Après plusieurs heures à discuter immobilier et réindustrialisation, le promoteur annonce la couleur :
Réalités Buildtech devient Mayers et entend accélérer son développement en
s’ouvrant à l’ensemble du marché (et plus seulement aux projets venant de Réalités) et en lançant une levée de fonds de 10 M€. « Mayers a le potentiel pour devenir une licorne », croit alors le patron de Réalités,
Yoann Choin-Joubert. À l’époque, l’entreprise emploie 150 salariés, dont 70 à la Janais, pour un chiffre d’affaires de 14,5 M€ en 2023.

Arnaud Montebourg, le 16 mai 2023, lors d'un événement organisé par Réalités Buildtech/Mayers dans son usine de la Janais.Arnaud Montebourg, le 16 mai 2023, lors d’un événement organisé par Réalités Buildtech/Mayers dans son usine de la Janais. (Photo archives Le Télégramme / Guillaume Bietry)Crise de l’immobilier

Mais tout ne se passe comme prévu. Le marché n’est pas au rendez-vous. « Le hors-site détient environ 5 % de parts de marché dans la construction, mais si on ne prend que le modulaire [la spécialité de Mayers, NDLR], on est plutôt sur 1 %. Contrairement à d’autres pays, la France n’y est pas très accro », reconnaît Céline Beaujolin, la déléguée générale de Filière hors-site France. « Le secteur de la construction n’est pas encore prêt. Techniquement, on sait faire, mais les habitudes ne sont pas prises et le cadre de la commande n’est pas forcément adapté », ajoute un professionnel rennais.

À cela s’ajoute une crise de l’immobilier neuf qui, depuis trois ans, met à l’arrêt ou retarde de nombreux projets. Pour Mayers, les volumes espérés ne sont donc pas là. Sauf que c’est là-dessus que Réalités compte pour rentabiliser ses investissements et couvrir ses charges fixes. « Pour qu’une usine s’en sorte économiquement, l’outil doit être saturé. C’est le propre de l’industrie », décrypte un constructeur de maisons breton. Or des contrats comme celui signé avec la Rennes School of Business, « ça n’arrive pas tous les jours ».

La maison-mère ne suit plus

Conséquence, Mayers tourne à perte mais peut un temps compter sur Réalités pour boucher les trous. Sauf que le groupe, qui s’est beaucoup endetté (plus de 400 M€ de dettes fin 2024) pour grandir rapidement, subit de plein fouet le retournement du marché de la construction neuve et n’est plus en mesure de financer sa filiale, dont il souhaite se désengager. En difficulté pour lever des fonds, payer ses fournisseurs et donc fonctionner normalement, Mayers est placé en redressement judiciaire en octobre 2024. Cette année-là, le chiffre d’affaires ressort à 11 M€ et la perte nette à 11,3 M€. Sans repreneur et sans perspective d’amélioration, la liquidation est prononcée par le tribunal de commerce de Nantes le 12 novembre 2025, quelques jours après la fin du chantier de la Rennes School of Business. L’usine, dont les effectifs avaient fondu, employait encore une trentaine de salariés.

Réalités a-t-il vu trop grand avec ce site ? A-t-il voulu aller trop vite, trop fort ? A-t-il fait cavalier là où il aurait dû embarquer d’autres acteurs ? S’est-il trop spécialisé dans les modules et pas assez sur le segment plus porteur des panneaux ? « Peut-être, mais cela ne veut pas dire qu’il faut tout jeter », souligne un bon connaisseur du dossier. Legendre, Trecobat, NGE Bâtiment et de nombreux autres acteurs partout en France continuent de miser sur le hors-site. « Cela fait partie des modèles d’avenir », estime Ségolène Bianchi, du groupe de conseil en immobilier d’entreprise CBRE. Mais pas sous la forme rêvée par Réalités. Contacté, le groupe n’a pas donné suite à nos sollicitations.