Sept grains de poussière microscopiques viennent de réécrire notre compréhension de l’histoire du Système solaire. Enfouis dans le régolithe de la face cachée de la Lune, ces fragments analysés par des scientifiques chinois proviennent d’un type de météorite si fragile qu’il se désintègre presque systématiquement avant d’atteindre le sol terrestre. Pour la première fois, nous avons la preuve directe que ces roches porteuses d’eau ont bombardé notre satellite naturel il y a des milliards d’années, et qu’elles pourraient avoir joué un rôle crucial dans l’apparition de l’eau sur Terre.

Une chasse microscopique dans la poussière lunaire

Lorsque la mission Chang’e-6 de l’Administration spatiale nationale chinoise est revenue avec ses précieux échantillons de la face cachée de la Lune, personne ne s’attendait à y trouver un trésor aussi inattendu. L’équipe menée par les géochimistes Jintuan Wang et Zhiming Chen de l’Académie chinoise des sciences s’est lancée dans un travail colossal : examiner plus de 5 000 fragments de matériau lunaire, un par un, à la recherche de traces d’impacts anciens.

Le site d’échantillonnage avait été choisi stratégiquement. Le bassin Apollo, niché à l’intérieur du gigantesque bassin Pôle Sud-Aitken qui couvre près d’un quart de la surface lunaire, représente un cratère à l’intérieur d’un cratère. Une configuration géologique idéale pour piéger et préserver les débris d’impacts survenus au fil des éons.

Les chercheurs, qui publient leurs travaux dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, ont concentré leurs efforts sur les fragments contenant de l’olivine, un silicate de magnésium et de fer couramment présent dans les roches volcaniques et les météorites. Après montage, polissage et analyse par microscopie électronique, spectroscopie et spectrométrie de masse, sept candidats ont émergé du lot. Leur composition chimique ne ressemblait à rien de lunaire ou de terrestre.

Un type de météorite que la Terre détruit presque toujours

Ces sept grains appartiennent à une catégorie extrêmement rare de météorites appelées chondrites carbonées de type Ivuna, ou chondrites CI. Leur particularité ? Elles sont gorgées d’eau et de composés volatils, représentant jusqu’à 20% de leur masse totale sous forme de minéraux hydratés. Leur composition ressemble étrangement à celle des astéroïdes Ryugu et Bennu, récemment étudiés par les missions spatiales japonaise et américaine.

Mais cette richesse en eau a un prix. Les chondrites CI sont d’une fragilité extrême. Poreuses et friables, elles se comportent davantage comme des éponges spatiales que comme des roches solides. Lorsqu’elles entrent dans l’atmosphère terrestre, la friction et la chaleur les pulvérisent littéralement. Résultat : moins d’un pour cent des météorites collectées sur notre planète sont des chondrites CI. Elles figurent parmi les objets les plus rares de notre collection de roches extraterrestres.

La situation sur la Lune semblait encore moins favorable à leur survie. Certes, l’absence d’atmosphère lunaire élimine le problème de la désintégration par friction. Mais la violence des impacts compensait largement cet avantage. À la vitesse à laquelle les objets percutent la surface lunaire, la matière devrait se vaporiser instantanément, fondre complètement ou être éjectée dans l’espace.

face cachée luneCrédit : Ittiz/Wikimedia Commons/Le bassin Pôle Sud-Aitken sur la Lune.Une signature chimique impossible à confondre

Pourtant, ces sept grains ont survécu. Leur structure révèle une histoire fascinante : des cristaux d’olivine emprisonnés dans une matrice vitreuse, témoignant d’une fusion éclair suivie d’un refroidissement ultra-rapide. L’impact a fondu la roche, mais pas assez longtemps pour détruire sa signature chimique originelle.

Les analyses isotopiques ont fourni les preuves définitives. Les rapports fer-manganèse, les concentrations en oxyde de nickel et de chrome, ainsi que les signatures isotopiques de l’oxygène et du silicium ne correspondent ni aux valeurs lunaires ni aux valeurs terrestres. Elles pointent toutes vers une origine unique : un astéroïde de type chondrite CI qui a percuté la Lune, s’est partiellement fondu, puis s’est refroidi en piégeant sa composition chimique pour les milliards d’années à venir.

La Lune, meilleure archiviste que la Terre

Cette découverte bouleverse notre compréhension de l’histoire géologique lunaire. Non seulement elle prouve que des chondrites CI ont bombardé notre satellite naturel au début du Système solaire, mais elle suggère également que la Lune pourrait être un meilleur conservatoire de ces matériaux que la Terre elle-même.

Selon les calculs de l’équipe chinoise, les chondrites CI pourraient représenter jusqu’à 30% de la collection de météorites lunaires, contre moins de 1% sur Terre. L’environnement lunaire, dépourvu d’atmosphère, d’eau liquide et d’activité tectonique, préserve miraculeusement ce qui serait détruit ou altéré sur notre planète.

L’eau primitive de la Terre venait-elle de ces roches ?

La portée de cette découverte dépasse largement la simple catalogation minéralogique. Les scientifiques suspectent depuis longtemps que les chondrites CI ont pu jouer un rôle fondamental dans l’apparition de l’eau et des composés organiques sur la Terre et la Lune primitives. Ces sept grains microscopiques offrent la première preuve physique directe de cette théorie.

Les futures missions d’échantillonnage lunaire pourront désormais rechercher activement ces traces météoritiques, élargissant notre fenêtre d’observation sur les premiers âges du Système solaire. La méthodologie développée par l’équipe chinoise ouvre également de nouvelles perspectives pour réanalyser d’autres échantillons extraterrestres et réévaluer la proportion réelle de ces météorites rares dans notre voisinage cosmique.

Sept grains de poussière. C’est tout ce qu’il a fallu pour confirmer que l’eau qui remplit nos océans pourrait bien provenir de ces fragiles messagers venus du fond du temps.