David, vous mettez en scène l’opéra en cette fin d’année à Nancy, la fameuse Bohème de Puccini. Quel en est le sujet ?
« De façon très résumée, il s’agit d’un groupe de jeunes artistes qui décident de vivre de leur art, à Paris, et de réussir à trouver comment s’aimer et survivre aux crises politiques environnantes. »
C’est l’une des œuvres les plus célèbres du répertoire lyrique, avec laquelle vous faites pourtant vos débuts à l’opéra ?
« Sur invitation du directeur, Matthieu Dussouillez, en effet. C’est vrai que je ne connais pas du tout l’opéra, mais j’adore la musique. Et La Bohème , j’ai trouvé ça si beau !!! J’en étais ému jusqu’aux larmes. Le livret, en revanche… très conservateur et beaucoup trop patriarcal. »
Et donc, comment vous en arranger ?
« Par des partis pris un peu différents. Mimi, par exemple, l’un des personnages principaux, passe traditionnellement pour une pauvre petite chose vulnérable. Alors que moi, je la vois en femme forte ! Dès le début, dans la scène de rencontre avec Rodolfo, je ne crois pas qu’elle égare simplement la fameuse clef : elle la laisse sciemment tomber ! Comme elle l’aurait fait d’un mouchoir, pour attirer l’attention du garçon. Elle ne subit donc pas l’action, mais en est le moteur. J’ai fait d’elle et de Musette les deux piliers de cette Bohème , deux femmes qui tiennent bon face à l’adversité. »
Et ce, dans un contexte particulier… ?
« Oui, celui de la révolution de 1830. On sort d’une période d’émeutes. Les gens ont faim. »
Et la vie de Bohème semble soudain beaucoup moins romantique ?
« J’en dézingue même le mythe. D’ailleurs, la chambre de bonne où débute l’intrigue, on la livre nue : trois livres, trois bougies. Il y fait froid, il y fait faim. Décider de vivre de son art dans ces conditions, c’est un choix engagé, politique. Ils aimeraient tous être Victor Hugo, Delacroix ou Chateaubriand. Mais tous ne le sont pas. Et ils essayent pourtant d’être dans un positionnement non marchand, pour ne pas contribuer à ce qui deviendra l’économie de marché justement en gestation à cette époque. »
Un certain regard critique, peut-être ?
« Alors, oui, mais Puccini, ce n’est pas Bourdieu non plus (rires) ! La Bohème n’est pas une radiographie sociale réaliste des années 1830. »
Ni un bonbon doucereux, ni une critique acide, ni un temple sacré… alors c’est quoi pour vous, cette Bohème créée à Nancy ?
« C’est la musique de Puccini qui nous dépeint des paysages émotionnels de manière bouleversante. D’une très grande complexité musicale, tout en se faisant parfaitement accessible à tous. Voilà, le secret. »
Accessible ? Ce n’est pourtant pas toujours ce qu’on dit de l’opéra…
« Et pourtant, c’est vrai. L’opéra, c’est vraiment la Maison des Gens. Où près de 200 personnes sont à l’œuvre dans un même objectif : procurer une soirée d’émerveillement. Alors oui, une place à 85 € – tarif le plus élevé demandé ici -, ça peut paraître cher. Et ça l’est ! Mais on peut aussi assister à une représentation pour moins de 20 €. Et, par ailleurs, je voudrais souligner qu’en Grande-Bretagne, où sera ensuite donnée cette Bohème , ce ne sont pas 85 €, mais trois fois plus qui seront demandés ! Parce que là-bas, le service public, ce n’est pas tout à fait le même qu’en France. Une réalité dont il faut être bien conscient. Et c’est ce même service public à la française qui permet de vraies prises de risque. »
Par exemple ?
« De pouvoir réunir ces jeunes et brillants interprètes d’une folle générosité, d’une incroyable créativité, capables d’endurer la pression inouïe liée à ces œuvres célèbres sur lesquelles tout le monde a un avis. Et d’en proposer, quand même, une lecture neuve ! Parce que la tradition, c’est cool. Mais si ce n’est pas pour être emmené vers quelque chose d’aujourd’hui, ça ne deviendrait que poussière ! »
À l’Opéra National de Nancy-Lorraine, des places encore disponibles les 19 et 23 décembre à 20 h.