Publié le
11 déc. 2025 à 6h32
Fabrice Ribeyrolles a entamé sa 11e saison à la tête de l’équipe féminine de Romagnat, renommée ASM Clermont féminin en janvier 2025 après un rapprochement progressif avec l’entité masculine du club. Candidat au poste d’entraîneur-sélectionneur du XV de France il y a quelques semaines, l’ancien coach de La Rochelle nous partage son expérience du rugby féminin, pourquoi il a choisi de quitter le rugby masculin ou encore comment il a réagi quand il a appris que François Ratier était le nouveau sélectionneur. Entretien à coeur ouvert.
L’état du rugby féminin 10 ans après son arrivée
Vous entraînez les filles, ici en Auvergne, depuis 2015. Qu’est-ce qui a changé en 10 ans ?
Aujourd’hui, on est deux entraîneurs (avec Vincent Fargeas, qui l’a rejoint en 2018, NDLR). Il y a un prépa physique à temps plein, un analyse vidéo, des stagiaires en prépa physique. On a des locaux dignes de ce nom, une salle vidéo, des salles de musculation à disposition. On n’est plus dans les vestiaires au sol pour faire la vidéo… Il y a aussi une chargée de communication, deux salariés pour les U18. Le club évolue à une vitesse importante mais sans griller les étapes. On met les moyens pour la formation des filles, mais aussi pour qu’elles soient épanouies et s’entraînent dans les meilleures conditions possibles. C’est vraiment là-dessus qu’on est focalisé : sur la réussite des filles.
Vous avez aussi vu le championnat évoluer. Il y a eu la diffusion des matchs sur Canal+, puis le naming avec Axa cet automne. Mais les joueuses demandent encore plus de moyens et ce championnat a beaucoup été pointé du doigt après la 4e place de l’équipe de France en Coupe du monde. Qu’en dites-vous ?
Ce qui est juste, c’est qu’il n’y a pas assez de matchs à haute intensité dans notre championnat. Les filles ne sont pas très préparées. Peut-être faudrait-il aussi en répartir certaines dans les différents clubs. Un club, que je ne citerai pas, recrute beaucoup chez les jeunes… Et ce qui me gêne, c’est qu’elles ne vont jamais jouer. Si on met 30 ou 40 filles à potentiel dans un même club, il n’y en a que 23 qui jouent le week-end. Et les autres ?Il faut aussi donner des moyens supplémentaires aux clubs pour recruter des entraîneurs et que les filles s’entraînent mieux. Je pense enfin qu’avoir une philosophie de jeu collectif, où toutes les joueuses prennent du plaisir, est très important également. Il n’y a pas que du jeu d’avants. Ça aussi, ça me dérange un peu.
Comment ça ?
Je ne dis pas qu’on fait toujours du beau rugby à Clermont mais on essaie au moins d’avoir du jeu qui va plaire à tout le monde, que ce soit les piliers et les ailières. L’an dernier, 75% de nos essais étaient marqués par nos arrières. Cela signifie qu’on a un jeu quand même assez attractif. C’est important. Pour que l’on soit médiatisé, il faut que les gens viennent au stade et aient envie de venir voir les filles. Et pour venir voir les filles, il faut qu’il y ait quelque chose de nouveau, de différent des garçons. Aujourd’hui, c’est l’évitement.
« Le jeu féminin est tourné vers le contournement, vers le plaisir qu’elles transmettent sur le terrain aux supporters. Vers cette envie de prendre des espaces, et pas toujours taper dans des murs. Je pense qu’il y a un chemin à trouver là-dedans et tous les clubs pourraient s’y retrouver aussi. Il y a encore du boulot. Pour l’instant, je ne suis pas très rassuré sur l’évolution de notre championnat ».
Fabrice Ribeyrolles
Entraîneur de l’équipe féminine de Clermont
Malgré le naming…
(il coupe) Le naming… Ouais, ok. Les partenaires viennent progressivement, mais je ne voudrais pas que ça fasse plouf. Il faudrait vraiment que le niveau de notre championnat évolue, que le niveau de jeu évolue, que le niveau de performance, d’opposition évoluent aussi pour être encore plus attractif.
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Et comment est-ce possible ?
Comme je le disais, il faut répartir certaines filles dans des clubs, donner la possibilité à tout le monde d’avoir du recrutement, mettre des moyens dans les clubs pour se structurer. Je ne dis pas que c’est parfait ce qu’on fait à Clermont, mais je pense qu’on met les filles dans les bonnes conditions. On est sur le physique, sur le rugby, on travaille avec un opticien, une podologue, un prépa mental. On met les moyens pour que les filles progressent, s’épanouissent à tous les niveaux, dans tous les domaines de la performance.
Les moyens de rivaliser avec les meilleures nations ?
On imagine que, quand vous avez postulé au poste de sélection dans l’équipe de France, vous aviez un projet très défini. Que doit faire le rugby féminin français pour être champion du monde selon vous ?
Mon axe de travail était basé sur des oppositions fortes. Les filles sous contrat, mais aussi celles à potentiel. Ce n’est pas en jouant trois matchs difficiles dans l’année qu’on va être capable de progresser, pour jouer des matchs de haute intensité comme contre l’Angleterre ou la Nouvelle-Zélande. Il aurait fallu des confrontations plus régulières, des entraînements plus réguliers. C’est ce que j’avais commencé à soumettre. J’en parlerai avec François Ratier. On a une bonne relation, alors quand il viendra, on discutera de tout ça. On a été concurrents tous les deux, on s’envoie des petits messages (sourire). Mais mon objectif, c’est que l’équipe de France performe. Parce que si elle performe, les clubs en sont bénéficiaires. Donc si je peux l’aider, donner des idées, ce sera avec plaisir.
Et comment on fait ça ?
J’ai proposé des stages par territoire, en prenant les filles sous contrat et à fort potentiel, pour faire du 15-15 pendant deux jours à haute intensité. Afin de voir comment elles réagissent face à une opposition forte. Aujourd’hui, le niveau du championnat fait que quand vous avez des internationales, vous gagnez même si elles ne font pas un bon match… Ça ne tire pas vers le haut. Mais quand on fait de l’opposition forte, si on n’est pas bonne, on voit immédiatement qu’on fait une erreur. C’est important de travailler les gestes techniques sous pression et de ne pas de se dire : « bon, ce n’est pas grave si je perds la touche, on en aura d’autres. On a déjà gagné de toute façon ».
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Les filles de l’équipe de rugby féminin de Clermont sont actuellement co-leaders de l’Elite 1 avec 6 victoires en 6 journées. (©Icon Sport)Sa candidature au poste d’entraîneur-sélectionneur du XV de France
Comment avez-vous réagi quand vous avez appris que le poste de sélectionneur n’était pas pour vous ?
J’ai été déçu à l’annonce, mais vous savez, je ne pensais pas postuler au départ. On m’a dit : ‘il faut que tu postules, tu es légitime ». Je l’ai fait et je me suis pris au jeu en rencontrant du monde, en appelant du monde à la FFR, en rencontrant les gens des clubs pour commencer à faire un projet, à me faire une idée. Et puis à force de se prendre au jeu, on s’imagine…
« C’est vrai que quand Jean-Marc Lhermet m’a appelé pour me dire qu’on était deux avec François et que c’est lui qui était retenu, j’ai été déçu sur le coup. Mais après, mes joueuses m’ont dit qu’elles ne voulaient pas que je parte. Au niveau familial et professionnel avec mon travail à Jeunesse et Sport, ce sera plus plus simple à gérer aussi. »
Fabrice Ribeyrolles
Entraîneur de l’équipe féminine de Clermont
On vous sent soulagé quelque part.
Je me suis dit que ma place était ici finalement. J’aurais vraiment eu mal au coeur de laisser les filles en cours de saison. J’ai recruté des filles, ce n’est pas pour leur dire « bye-bye » en janvier. J’avais même commencé à demander à la Fédération si je pouvais cumuler les 2 postes durant quelques mois. Cela aurait été compliqué donc oui, je suis soulagé à ce niveau-là. J’aurais été content d’y aller mais je commençais déjà à stresser des mois qui allaient arriver (sourire). Donc, je souhaite bon courage à François parce qu’il y a tout à mettre en place.
Après 11 saisons à Clermont, vous n’aviez pas envie d’aller voir ailleurs ?
Ce qui est intéressant ici, c’est que le club évolue chaque année et qu’on est à la construction de cette évolution avec Vincent, Marie-Françoise Magignot, la Présidente et moi-même. Dans un an, la Cité du Rugby va voir le jour à Clermont et on va va avoir une structure professionnelle. On a plein de projets. Le jour où il n’y en aura plus, où ça roulera tout seul, je me dirais peut-être que je peux m’arrêter. Je partirai quand le club sera en très bonne position, bien assis au niveau national avec des structures dignes de ce nom et du projet « One ASM ». Donc il y a plein de choses positives qui arrivent aussi.
La différence entre coacher des filles et des garçons
Vous avez entraîné les garçons longtemps aussi, à La Rochelle notamment (2011-2014). Qu’est-ce qui est différent chez les filles ?
Il y a un truc magnifique avec elle, c’est qu’elles vous rendent ce que vous leur donnez. C’est ce qui me plaît. Ce qui fait que je ne m’essouffle pas, qu’on essaie de renouveler les choses, que je suis très attaché à elles. Elles aiment être entraînées par une personne ou
deux. Elles n’aiment pas quand ça change. Les garçons, ils peuvent être avec Pierre, Paul, Jacques, ce n’est pas un problème.
« Les filles, elles, ont besoin d’avoir ce lien fort de confiance, de respect, d’écoute. Aujourd’hui, j’ai créé ce lien fort avec elles, et avec Vincent depuis maintenant 8 ans. »
Fabrice Ribeyrolles
Entraîneur de l’équipe féminine de Clermont
Un groupe féminin se gère-t-il différemment d’un groupe masculin ?
Ce n’est pas simple tous les jours. Je retire beaucoup de positifs, mais il y a des moments où elles me fatiguent. J’ai envie tout de tout envoyer balader quand il y a des histoires dans les vestiaires ou des incompréhensions. Mais c’est comme dans la vie ! J’ai vécu avec les pros à la Rochelle pendant 3 ans et ce n’était pas simple non plus. La gestion des humains, ce n’est pas facile de toute façon. Mais au moins, on a une passion commune. C’est le rugby qui nous a réunis. Elles sont venues au rugby par passion. Moi, je suis revenu dans le rugby féminin par passion aussi.
C’est ça qui vous a amené à entraîner des filles après votre expérience à La Rochelle ?
J’ai eu envie de retrouver le rugby simple, sans argent, sans agents, où on se réunit autour du ballon parce qu’on aime ce ballon. Et mon ami d’enfance, David Courteix, qui a entraîné l’équipe de France à 7 féminine, m’a dit : « Vas-y, tu vas te régaler. C’est comme quand on était jeunes, avec la même passion ! » Et c’est exactement ça.
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