Par

Anne-Sophie Hourdeaux

Publié le

11 déc. 2025 à 13h46

À Roubaix, Jean Lebas a une avenue, un monument, un collège à son nom. Il a aussi désormais son « stolpersteine », un pavé doré scellé dans un trottoir. Et pas n’importe où : juste devant son ancienne maison. L’occasion de redécouvrir cet ancien maire, ministre du Travail, mort en déportation en 1944, qui a eu une vie exceptionnelle dédiée à la solidarité et à la résistance. Retour sur une cérémonie très émouvante en présence d’élèves du collège Jean Lebas de Roubaix.

« Pierre sur laquelle on trébuche », pour interpeller à Roubaix

Les pavés, on connaît dans le Nord. Mais ceux-là sont chargés en émotions et en histoire : nominatifs, ils commémorent des personnes mortes sous le joug nazi en 39-45. Ils portent un nom pas facile à prononcer : « stolpersteine ». Il s’agit d ‘un mot allemand qui signifie « pierre sur laquelle on trébuche ». Trébucher dans le sens premier, car ces pierres sont insérées dans le trottoir, mais surtout « par la pensée, en étant interpellé par le texte qui y est écrit : un nom, des dates, quelques informations » signale Théo Hooreman, président de l’association des Stolpersteine Nord et Pas-de-Calais.

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Les associations patriotiques ont accompagné ce moment mémoriel devant l’ancienne maison de Jean Lebas. ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du Nord

Les stolpersteine sont donc une manière récente et différente d’entretenir un devoir de mémoire pour les héros et martyrs de la Seconde guerre mondiale.

Cette tradition est née dans les années 1990 : l’artiste berlinois Gunter Demnig voulait ainsi rendre hommage aux Tziganes et Roms victimes du nazisme. Il a posé le premier pavé illégalement à Cologne en 1992, puis 50 à Berlin en 1996. Aujourd’hui, on compte 150 000 stolpersteine dans le monde dans 30 pays.

Théo Hooreman

En France, le premier a été posé en 2011. À Roubaix, deux premiers pavés ont déjà été installés en juin 2025 en mémoire d’un couple de résistants, Marcelle et Edouard Pieters. Cette fois, c’est l’ancien maire de la ville qui était honoré : Jean Lebas.

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Théo Hooreman, président de l’association Stolpersteine Nord – Pas-de-Calais, tenant le fameux « pavé » avant son installation. ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du Nord

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C’est devant l’ancienne maison où il résidait, non loin de l’hôpital de Roubaix, que s’étaient donné rendez-vous l’association Stolpersteine nordiste, les associations patriotiques, les Amis de Jean Lebas, des élus et aussi des collégiens de l’établissement qui porte le nom de l’ancien maire.

« À Roubaix, la présence de Jean Lebas est permanente, avec à son nom un collège, un monument, une rue, un mémorial en mairie » a rappelé Margaret Connell, adjointe au maire.

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Le stolpersteine a été scellé dans le trottoir. ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du NordConquêtes sociales, défenseur de sa ville

Eve Flament, présidente de l’association des Amis de jean Lebas, a retracé son parcours exemplaire, « qui force le respect ». « Il était un homme ordinaire, discret, modeste. Il est né en 1878 dans une courée. D’abord ouvrier dès 15 ans, il devient comptable. Il rejoint le Parti ouvrier, et est élu maire de Roubaix en 1912 ! Il est opposé aux Allemands dès 1915, refusant de leur donner le nom des jeunes Roubaisiens en âge d’aller travailler en Allemagne. Il est donc déporté ! » Jean Lebas aura donc connu deux déportations, dont la 2e lui sera fatale.

Concernant son poste de ministre de travail sous le gouvernement Blum, Eve Flament rappelle toutes les avancées sociales auxquelles il a contribué : « Les premiers congés payés, l’assurance sociale, c’est lui ».

«  Héros presque malgré lui  »

En 1940, il est toujours maire de Roubaix : « Il fonde un réseau de résistance et un journal résistant, l’Homme libre ». Il sera arrêté en 1941 et déporté. Il mourra en 1944. « C’est un homme très courageux, un héros presque malgré lui ».

Représentant le préfet, Pierre Molager, secrétaire général de la préfecture du Nord, a confié : « Le nom de Jean Lebas est désormais gravé dans la terre de Roubaix qu’il a tant aimée et tant servie. Tant notre monde actuel, on a besoin d’avoir des modèles forts, des boussoles. Jean Lebas a aidé les faibles. La nation a toujours été attaquée, elle s’est toujours relevée grâce à des hommes set des femmes comme lui ».

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Des jeunes de 3e du collège Jean Lebas ont participé à l’hommage à Jean Lebas en lisant ses dernières lettres écrites en captivité à son épouse. ©Anne-Sophie Hourdeaux/Croix du NordAvec les jeunes

Cette initiative de pose des stolpersteine dans nos rues allie toujours la jeunesse, car la dimension de transmission fait partie des valeurs du projet. Associer les élèves du collège portant le même nom était une évidence. 12 collégiens de 3e de l’établissement Jean Lebas ont participé à ce bel événement. Ils ont lu les dernières lettres du maire victime du nazisme, écrites à sa femme alors qu’il est emprisonné.

Interrogés sur ce qu’ils retiennent de Jean Lebas, les jeunes, Chris, Nabintou, Tiguida, Yasmine, Imane, Boucif, Ridha, Danestiana, Romaysaa, n’hésitent pas : « Il est mort pour la France », « Il a gardé la tête haute », « Quand on a découvert ses dernières lettres, on a ressenti de la tristesse »…

Depuis 3 mois, deux heures par semaine après les cours, les élèves, tous volontaires, préparent aussi une exposition avec les documents collectés. Elle est installée dans le hall de leur collège, « mais on espère qu’elle pourra aller dans d’autres lieux roubaisiens » disent les jeunes.

Il y a 8 kakémonos, avec des documents comme son acte de naissance. On est allé aux archives municipales pour cela. Les thèmes présentés sont sa jeunesse, ses actions en 14-18, la résistance, sa période comme ministre, sa mémoire aujourd’hui… Avec des QR code, on peut écouter ses dernières lettres…

Les collégiens de Jean Lebas à Roubaix

Et ce n’est pas tout pour ces jeunes. Marjorie Beauchamp, enseignante, précise la suite : « Le groupe va continuer à honorer la mémoire de victimes roubaisiennes du nazisme : les jeunes vont faire des recherches sur Nelly Devienne et la famille Bernstein ».

Les jeunes après la cérémonie ont pu entrer dans l’ancienne maison du marie, les propriétaires ont ouvert leur porte !

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