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L’exposition de Jean-Charles de Castelbajac aux Abattoirs de Toulouse dévoile un parcours créatif audacieux. Des bannières médiévales aux vêtements sculptures, l’artiste brouille les frontières entre mode et art. Une immersion dans un univers unique.

Suivre Jean-Charles de Castelbajac de salle en salle, pour sa grande exposition qui s’ouvre ce vendredi au musée des Abattoirs, c’est entrer dans les méandres d’un esprit hyper créatif, s’amuser de ses inventions les plus audacieuses, arpenter cinquante ans d’histoire de la mode. Avec « L’imagination au pouvoir », on contemple une « œuvre protéiforme, multiple », d’après les mots de la directrice Lauriane Gricourt, « un voyage dans un multivers », même. C’est aussi la première exposition de mode accueillie dans un musée d’art contemporain, qui entend « faire tomber les barrières », fidèle à ce créateur qui n’a eu de cesse de croiser les disciplines.

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« Dans ma vie il y a eu plusieurs étapes, à chaque fois, c’étaient des rebonds qui m’ont amené à vivre une autre expérience, confie Jean-Charles de Castelbajac. Lorsqu’on m’a proposé cette carte blanche, j’ai eu le sentiment que je pourrai enfin cristalliser mon archipel. J’ai transformé les Abattoirs en château ! »

Des bannières façon Moyen-Âge pour retracer la vie de Castelbajac, dès l’entrée des Abattoirs.

Des bannières façon Moyen-Âge pour retracer la vie de Castelbajac, dès l’entrée des Abattoirs.
DDM – FREDERIC CHARMEUX

Prenez l’entrée, avec ses bannières du Moyen-Âge suspendues jusqu’au plafond de la nef centrale, qui retracent les moments importants de sa vie. Ces étendards forment une épopée intime qui aide à comprendre comment son imagination s’est constituée. « Anticiper, ça veut dire respirer l’air du temps avant les autres. J’ai toujours aimé ce qui était bizarre, punk, alternatif, les artistes qu’on ne comprenait pas, parce que je me disais qu’on les comprendrait plus tard. »

« L’architecte de la mode »

Dans la pièce suivante, les murs sont recouverts de couverture grise, la fameuse couverture de pensionnat qui a servi de matériau à sa première création, en 1976. De cette pierre angulaire naîtra son goût pour la récupération et le détournement. Elle côtoie une robe en gaze à fromage blanc, un manteau en sac de wagon-lit, ou une veste en rubans de raphia de fleuriste, qui lui vaudront le surnom d' »architecte de la mode » par le New York Times.

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Passez une nouvelle porte, et vous entrez dans un espace doré, habillé de couvertures de survie. « Je suis issu d’une famille de militaires et de paysans, j’ai toujours été obsédé par la notion de fonction », explique-t-il. Celle du poncho deux places pour K-Way, par exemple, longtemps record des ventes au rayon mariage des Galeries Lafayette (avec fermeture éclair en cas de séparation), celles des tenues portées par Farrah Fawcett dans la série « Charlie et ses drôles de dames », le manteau couverture d’Hudson Bay qui l’a ouvert aux couleurs, ou encore cette doudoune matelassée jaune fluo issue de la collection « État d’urgence ».

La salle dorée "Haute Protection" fait la part belle aux camouflages.

La salle dorée « Haute Protection » fait la part belle aux camouflages.
DDM – FREDERIC CHARMEUX

La salle suivante s’entend avant de se voir. Plongée dans le noir et mise en musique par son ami DJ Vladimir Cauchemar, elle abrite un carrousel sur lequel ses vêtements imprimés tournent, au-dessus d’un sol en kaléidoscope miroir, cernés de murs circulaires recouverts de dessins, comme des pages d’écriture.

À la sobriété des mots, succèdent le surréalisme et la poésie des « vêtements sculptures », comme le célèbre Manteau Teddy Bear. Devenu culte, il a fait la couverture de « Elle » avec Estelle Lefebure en 1987, avant d’être acheté par le rappeur LL Cool J. « À partir de là, ce geste d’accumulation devient récurrent chez moi », commente Castelbajac. Place à la pop hip-hop. Qu’elles soient portées par Inès de la Fressange, Katy Perry ou recouverte de la coiffure de Sonia Rykiel, les robes résonnent dans l’air du temps et deviennent iconiques, au même titre que le pull Snoopy, vêtement « urbain » qui connaîtra un grand succès à partir de 1981. Un mur de photos de mode met en scène les plus grandes stars de l’époque.

Le carrousel rend hommage aux dessins et vêtements imprimés de Castelbajac, sur une musique de Vladimir Cauchemar.

Le carrousel rend hommage aux dessins et vêtements imprimés de Castelbajac, sur une musique de Vladimir Cauchemar.
DDM – FREDERIC CHARMEUX

Mode ou art ?

On s’arrête net devant cette robe tableau « La bataille », créée avec Combas en 82, dans une forme chasuble qui a provoqué la stupéfaction sur les podiums, et devant celle de Ben, « Je suis toute nue en dessous ». Mode ou art ? « Elle a été autant sifflée qu’applaudie. J’ai toujours cherché le point où ça achoppait. »

Castelbajac, c’est aussi deux jarres de Keith Haring, une Swatch géante, la chaussure de Beyoncé dans le clip « Telephone », de Lady Gaga, une casquette en Lego. Les vêtements liturgiques pour la réouverture de Notre-Dame de Paris, des habits de lumière vus par un milliard de personnes…

Une tente se prête à la méditation, à deux pas de la surprenante « Battle dress » conçue pour la Vierge noire de Notre-Dame de la Daurade en 2009. La visite se conclut avec la « salle de transmission » et ses immenses collages sur les murs en hommage à la Danse de Matisse, dans un style breakdance. « Je ne suis jamais en paix si je ne cherche pas constamment autre chose », ajoute Castelbajac qui a voulu, davantage qu’une rétrospective, proposer aussi une prospective.

« Jean-Charles de Castelbajac : l’imagination au pouvoir », du 12 décembre au 23 août 2026 aux Abattoirs, 76 allées Charles de Fitte, à Toulouse. Tél. 05 62 48 58 00. Tarif plein : 12 €.