Le jeudi 30 octobre, dans un arrêté abondamment argumenté, la Ville de Strasbourg ordonnait la fermeture du Wagon Souk. Cette décision intervient au milieu d’une fermeture administrative de quatre mois, prononcée par la préfecture fin août. On fait le point sur les perspectives d’avenir du tiers-lieu qui fait l’objet de plusieurs polémiques.
Fin octobre, dans un arrêté, la Ville de Strasbourg ordonnait la fermeture du Wagon-Souk, un tiers-lieu bien connu des Strasbourgeois(es) et géré par l’association Sauver Le Monde. Dans le document en question, elle explique notamment que le bâtiment n’a pas été mis en conformité par rapport aux exigences légales quant à l’accueil du public depuis son ouverture en 2022, dans la rue du Rempart.
Un arrêté qui s’inscrit dans la continuité d’un autre. En effet, après plusieurs contrôles, courriers et mises en demeure de la part des services municipaux, c’est la préfecture qui, la première, prend un arrêté de fermeture administrative de quatre mois, le 29 août dernier. Une décision prise après une opération de contrôles qui avait notamment fait état de vente d’alcool fort illégale et de manquements aux obligations de l’employeur.
En parallèle, cet été, plusieurs personnes ont pris la parole et ont dénoncé des violences de la part du président de l’association. Les accusations font cas d’un « climat de terreur » interne et sont partagées par plusieurs acteurs/rices du secteur associatif et artistique. C’en est trop pour la Ville, qui annonce mettre en pause son travail avec l’association, par un communiqué le 1er septembre – deux mois avant l’arrêté du 30 octobre.
Quel point d’étape peut-on dresser aujourd’hui, un mois après un arrêté municipal qui ordonne la fermeture d’un lieu… qui est déjà fermé ?
1. © Anthony Jilli / Pokaa ; 2. © Nicolas Kaspar / Pokaa
Que nous dit cet arrêté ?
L’acte administratif du 30 octobre 2025 repose intégralement sur des éléments liés au bâtiment, qui constitue l’unique domaine de compétences de la municipalité à ce sujet. Il ne concerne donc pas les polémiques abordées cet été.
Au sein du bâtiment Du Guesclin, l’exploitant exerce des activités et a investi des locaux supplémentaires (totalisant environ 750 m2) à ceux autorisés par le permis de construire accordé.
Extrait de l’arrêté municipal du 30 octobre 2025, ordonnant la fermeture de l’établissement
Dans un premier temps, l’arrêté donne un aperçu du « deal » de base, tel qu’il est repris dans un permis de construire délivré à l’exploitant en 2023. Par ailleurs, l’existence même de ce permis de construire implique des travaux qui devaient être menés.
On y lit que, malgré l’octroi d’environ 140 m2 au rez-de-chaussée de ce bâtiment militaire, l’association se serait étendue sur 750 m2 supplémentaires. De plus, là où l’accueil du public en intérieur devait être limité à 50 personnes dans le cadre d’activités de vente, l’association développe restauration, débit de boissons, concerts, et « activités assimilables à une discothèque ». Sauf que toutes ces activités rattachent l’établissement à un autre régime pour lequel la règlementation est plus stricte. Selon l’arrêté municipal, aucune démarche de mise en conformité avec cette règlementation n’aurait été entreprise par l’association.
Dans sa pétition mise en ligne au printemps 2025, l’association s’exprime à ce sujet, assurant avoir toujours souhaité mettre le bâtiment en conformité. Elle accuse la municipalité de ne pas avoir répondu à ses sollicitations en ce sens et estime avoir été victime de « discriminations des services de la Ville ». De son côté, la municipalité affirme avoir été dans une optique de dialogue et d’accompagnement.
Au cours de leur mandat, nous avons été confrontés à de nombreux obstacles, difficultés et actes de malveillance de leur part [l’équipe municipale].
Le Wagon Souk, joint par mail
Avant de s’installer rue du Rempart, le Wagon Souk s’était établi au parc Grüber. © Caroline Alonso / Pokaa
Début 2024, un premier contrôle de la Police du bâtiment a lieu. Le rapport qui en découle explique que de « nombreux manquements à la réglementation applicable en matière de sécurité contre les risques d’incendie et de panique ont été constatés ». Il préconise déjà une fermeture de l’établissement et le rapport est assorti de 29 prescriptions.
Un incendie dans cet établissement pourrait rapidement avoir des conséquences dramatiques pour le public reçu et les secours intervenants.
Extrait du rapport de la Police du bâtiment, février 2024
Un dernier contrôle est effectué en octobre 2025. Le procès-verbal de celui-ci établit « qu’aucune des 29 prescriptions […] n’a été mise en œuvre par l’exploitant ». Il met également en cause la serre extérieure, qui accueillait des événements festifs, car ne répondant pas non plus aux exigences de sécurité.
C’est sur la base de ces éléments que l’arrêté justifie la décision municipale du 30 octobre de fermer l’établissement au public « face à la gravité et à la persistance de la situation ».
La « serre » extérieure du Wagon Souk. © Anthony Jilli / Pokaa
Quels effets a cet arrêté ?
Par l’édiction de ce document le 30 octobre 2025, la municipalité ordonne la fermeture immédiate au public du bâtiment exploité par le Wagon Souk… Sauf que la fermeture au public est déjà effective en raison de l’arrêté préfectoral pris fin août.
Cette nouvelle décision est-elle inutile ?
© Manon Jensen / Pokaa
Dans un premier temps, l’échéance de la décision préfectorale n’a plus d’importance concrète puisque le nouvel arrêté implique une fermeture sine die.
Théoriquement, l’arrêté de la Ville n’exclut pas une éventuelle réouverture, mais la conditionne à la « réalisation des travaux de mise en conformité » (ainsi qu’à la mise en œuvre des 29 prescriptions) et à leur vérification par un organisme agréé. La réouverture ne pourra être autorisée que par une décision municipale formalisée par un nouvel arrêté.
© Manon Jensen / Pokaa
Il faut ajouter à cela le fait que, le bâtiment appartenant à la Ville, le contrat d’occupation qui liait l’association à la collectivité est échu depuis le printemps 2025.
Contacté, Syamak Agha Babaei, premier adjoint à la maire, est catégorique : « Notre relation contractuelle avec le Wagon Souk est terminée. » Il confirme que la municipalité n’a plus de dialogue avec l’association Sauver Le Monde et que cette dernière n’est désormais « plus titrée pour occuper les lieux ».
Mais l’association n’a pourtant pas quitté les lieux depuis le printemps 2025, et même la fermeture, intervenue fin août, ne concernait que le public. « C’était une occupation précaire », tranche l’adjoint ; on n’en saura pas plus quant à sa définition.
Il y a des aventures qui réussissent et des aventures qui ont de bons projets mais qui peuvent échouer. Là, on a une aventure qui a échoué.
Syamak Agha Babaei, 1er adjoint à la maire
Ce que ça veut dire, c’est que même si l’arrêté laisse une possibilité de réouverture à l’issue de travaux, dans les faits, l’association Sauver Le Monde n’aurait plus aucun titre lui octroyant le droit d’occuper le lieu… ou d’effectuer ces travaux.
Les conditions de réouverture s’appliquent donc exclusivement au bâtiment en vue de futurs projets, et ne concernent plus l’association.
Quel avenir pour le tiers-lieu ?
Une chose parait évidente : le Syamak Agha Babaei avec qui on a échangé ces derniers jours n’est plus le même que celui de mi-septembre, qui ne se cachait pas d’être passablement excédé par ces affaires.
Désormais, l’élu a acté la fin d’un chapitre et semble résolument tourné vers un avenir dans lequel il projette une nouvelle vision, offrant diverses possibilités. Aucune d’entre elles n’incluant le Wagon Souk.
1. Syamak Agha Babaei. © Maria Fernandes / Pokaa ; 2. © Coraline Lafon / Pokaa
Néanmoins, rappelons une nouvelle fois que le Wagon Souk avait été soutenu au printemps 2025 par une pétition qui avait réuni plusieurs milliers de signatures, car il était un lieu plébiscité par une partie des Strasbourgeois(es).
De plus, en septembre dernier, les acteurs/rices strasbourgeois(es) du milieu culturel et associatif interrogé(e)s dans nos colonnes avaient unanimement exprimé la qualité et la nécessité d’un tel lieu. Non seulement dans sa dimension interculturelle et solidaire, mais aussi dans sa lutte contre les discriminations, indépendamment des critiques faites à l’égard de sa gouvernance.
Aussi Syamak Agha Babaei affirme-t-il encore aujourd’hui partager cette conviction. Il exprime le souhait de voir d’autres acteurs/rices porter un projet de ce genre « dans une gouvernance assainie, respectueuse du cadre légal et de l’ensemble des personnes concernées ».
On l’a compris : la Ville n’entend pas laisser le lieu vacant. Elle souhaite rebondir avec un nouveau projet qui s’inscrit dans les transformations à venir du quartier pour renforcer cet « axe créatif, culturel et alternatif ». Un secteur qui compte déjà différentes structures telles que la Semencerie, la Laiterie, le Molodoï, la Grenze.
Dans l’immédiat, l’élu estime qu’il faudra tout de même plusieurs mois pour se projeter concrètement sur un autre projet. Il faut d’abord que le lieu soit pleinement disponible : « Il y a encore l’ensemble des affaires qui sont là, qui ont été laissées […]. La Ville va récupérer les clés et faire en sorte qu’il n’y ait plus d’accès, puisqu’il n’y a plus de bail. »
1. La Grenze. © François Freundlich / Document remis ; 2. © La Semencerie. © Bastien Pietronave / Pokaa
Fait assez rare pour être souligné, la municipalité est d’accord avec le Wagon Souk sur un point essentiel : la rupture est consommée. Contacté, le tiers-lieu l’affirme : « Oui, le Wagon Souk a la volonté de continuer, mais pas si l’actuelle équipe municipale, avec à sa tête Mme Jeanne Barseghian, demeure à la gestion de notre ville. »
Là où Syamak Agha Babaei nous parle de projets sur le long terme, il reste flou sur une échéance, et non des moindres, dans laquelle l’association Sauver Le Monde semble voir sa dernière chance. En effet, le Wagon Souk mise sur un potentiel désaveu de la municipalité actuelle lors du scrutin de 2026. Il appelle très clairement ses soutiens à se mobiliser. Le message est clair : les écolos ou le Wagon Souk.
Malgré notre désir et notre attachement à poursuivre cette aventure à Strasbourg, il ne nous sera pas possible de continuer dans ces conditions.
Le Wagon Souk, joint par mail
© Anthony Jilli / Pokaa
Vous l’avez compris, si l’association Sauver Le Monde a jusqu’à la fin de l’année civile pour contester la décision administrative, elle semble plutôt orienter l’affaire vers une issue qu’elle souhaite politique.
Nous appelons tous les Wagonistes à agir afin de tourner la page de l’actuelle équipe municipale lors des élections de mars.
Le Wagon Souk, joint par mail
La municipalité comme le Wagon Souk partagent la volonté de tourner une page : reste à voir laquelle. Est-ce qu’une autre municipalité serait plus encline à relancer le projet dans ce bâtiment ?
S’il est toujours possible de voir émerger un « Wagon Souk 3.0 » dans un futur plus ou moins proche, et logiquement auprès d’un bailleur privé, ce ne sera certainement pas dans ce bâtiment de la rue du Rempart.