Esslingen, ville moyenne du Bade-Wurtemberg posée entre vignobles et maisons à colombages, est le terrain qu’a choisi Die Zeit pour une petite enquête d’un genre particulier : demander aux passants où ils rêveraient de voyager si l’argent n’était pas un problème. “Imaginons que, pour ce voyage magique, l’argent leur tombe du ciel. Bien sûr, c’est une question irréaliste ; nous avons certainement d’autres problèmes de société. Mais on a bien le droit de demander à ses concitoyens une carte postale de leurs rêves !” explique le quotidien.

Le choix d’Esslingen ne relève en rien du hasard : ni trop grande ni trop petite, sans charme tapageur ni laideur rebutante, la ville offre un échantillon ordinaire de vies allemandes. L’enquête repose sur une méthodologie simple : interroger les gens au fil des rencontres, sans filtre ni questionnaire, pour saisir la première image qui surgit dans l’esprit de chacun.

Ce qui remonte, dans cette série de réponses spontanées, dessine une géographie intime du désir de partir. Chez certains, la fuite l’emporte sur la destination. La postière ne s’embarrasse d’aucune nuance : “Je veux juste partir, tout est mieux qu’ici !” Un refus du présent qui efface la frontière entre voyage et expatriation. D’autres, plus rêveurs, évoquent des horizons lointains pour éprouver un choc ou une respiration nouvelle. Une étudiante dit vouloir “sentir cette tranquillité dans le métro japonais, mais aussi les lumières et le tumulte de Tokyo”. Une mère, elle, cherche la liberté des grands espaces : “En Norvège, c’est si vaste et si libre. Ici, tout est étroit et plein de monde.”

La fascination pour l’Amérique du Nord se retrouve dans de nombreux témoignages. Dans un salon de beauté, une cliente affirme : “Tout me fascine aux États-Unis. La vie là-bas, les relations, tout est si différent.” Un jeune père rêve lui aussi de la côte Pacifique, partagée entre paysages mythiques et malaise politique. Malgré ces réserves, l’imaginaire américain demeure un aimant collectif.

Mais une autre ligne apparaît, presque en contrepoint : le désir du retour aux sources. Pour certains, le luxe ultime ne serait ni Hawaii ni la côte californienne, mais leur pays d’origine. Un vendeur du magasin “tout à 1 euro” le dit sans détour : “Je voudrais revoir mon village natal en Afghanistan. Cela fait seize ans que je n’y suis pas retourné, c’est mon seul souhait.” Au fil des rencontres, le rêve bascule ainsi vers l’essentiel : retrouver un lieu, un passé, une appartenance.

De cette cartographie improvisée, une évidence se dégage : quand tout devient possible, les habitants d’Esslingen ne rêvent pas seulement de voyage, mais plus largement d’ailleurs. Un ailleurs où respirer autrement, recommencer ou simplement revenir à soi.