« J’ai déjà signé le livre d’or, j’étais à l’époque venu manger avec mon papa », sourit le médaillé olympique d’Athènes en tendant le stylo au Lion des Flandres. Durant plus de deux heures et entre « le champion du monde des vol-au-vent » et un petit café, nos analystes ont rembobiné la saison 2025 pour mieux se projeter sur ce qui nous attend en 2026. Avant d’aborder les thématiques belges dans un second volet, débutons par le chapitre international en entrée.
Messieurs, si vous deviez résumer la saison 2025 en un seul mot, lequel choisiriez-vous ?
Axel Merckx : Pogacar, la réponse est facile (rires)…
Johan Museeuw : Il a gagné sa première (UAE Tour) et sa dernière course de la saison (Tour de Lombardie), quatre classiques au printemps, un nouveau Tour de France, le tout en conservant son maillot de champion du monde. Ce n’est pas que je n’aime pas cela car il faut bien mesurer le privilège que nous avons de voir évoluer l’un des plus grands coureurs de tous les temps mais on pourrait avoir le sentiment que c’est tout le temps le même qui s’impose. Ce que je trouve plus dommage, c’est que la tactique a de moins en moins de place dans le cyclisme moderne. Pour caricaturer, les choses sont assez simples pour l’équipe UAE. Elle contrôle la course pendant trois heures puis Pogacar part à 80 ou 100 kilomètres de l’arrivée et s’impose en solitaire (rires)…
guillement
La tactique a de moins en moins de place dans le cyclisme moderne.
A. M. : Chaque génération a vu un coureur dominer le reste du peloton. Mais ce qui constitue la singularité de Pogacar, c’est la façon dont il le fait. S’il se met en tête de gagner le Tour des Flandres, il lève les bras à Audenarde. Et c’est la même chose pour la Grande Boucle… Je n’aime pas comparer les générations mais il domine aujourd’hui comme mon papa dominait autrefois. Au-delà de son palmarès, ce qui m’impressionne le plus chez lui, c’est la fraîcheur qu’il affiche une fois qu’il a franchi la ligne. À l’arrivée du dernier Mondial où tout le monde était à l’agonie, on pouvait presque se demander s’il venait bien de faire plus de six heures de vélo (rires)…
J. M. : Dans la dernière semaine du Tour de France, il était blessé au genou et loin de son meilleur niveau mais personne n’a pourtant décelé le moindre signe de cette faiblesse.
Comprenez-vous les critiques qu’émettent de plus en plus d’autres formations sur l’hégémonie de l’équipe émiratie ?
A. M. : Pas vraiment, non. À ce que je sache, on parle ici d’un sport professionnel et les gars de chez UAE sont payés pour gagner, pas pour faire le show. Ce n’est pas du divertissement. 75 à 80 % des équipiers du Slovène bénéficieraient d’un statut de leader s’ils évoluaient sous un autre maillot. La largeur du noyau que gère Mauro Gianetti est assez dingue.
J. M. : La manière dont elle paie les équipiers de Pogacar participe aussi au fait qu’ils acceptent de se mettre à plat ventre pour le leader désigné; il n’y a pas de guerre interne pour tenter de changer de statut comme c’était plus souvent le cas à notre époque.
Voyez-vous cette toute-puissance financière comme un danger potentiel pour le vélo ?
A. M. : Les équipes qui se plaignent le plus du budget dont dispose actuellement UAE, ce sont celles qui étaient au sommet il y a encore quelques années de cela (sourire)… Il faut voir si cela va durer car le cyclisme est souvent fait de cycles. Lidl-Trek investit, par exemple, beaucoup et se rapproche de l’enveloppe d’UAE. Les choses peuvent vite changer. Ineos n’a plus la puissance de la Sky d’autrefois.
Comme vous mettez le nom de Lidl-Trek sur la table, que vous inspire le passage d’Ayuso dans cette équipe ?
J. M. : Une équipe comme UAE ne l’aurait pas laissé filer chez l’un de ses plus grands rivaux avant la fin de son contrat si cette solution ne lui avait pas convenu. C’est un coureur avec beaucoup de qualités mais je me demande si son mental est à la hauteur de son physique.
A. M. : Je rejoins Johan dans son analyse. Quand Ayuso s’est retrouvé en position de gagner et que Pogacar n’était pas là, on ne peut pas vraiment dire qu’il a fait mouche à chaque fois. Regardez la manière dont il a presté sur une Vuelta qu’il a pourtant pu préparer spécifiquement. À mes yeux, il n’atteindra jamais le niveau d’un Pogacar.
Pour en revenir justement au numéro un mondial, pensez-vous qu’il dispose encore d’une marge de progression ?
A. M. : Ça, on ne peut pas le savoir. L’évolution de la courbe de chaque coureur est très personnelle et il est vraiment compliqué de la prédire car il n’y a pas toujours que le physique qui entre en ligne de compte.
J. M. : Je suis tout à fait d’accord avec Axel. Pour suivre Pogacar sur les réseaux sociaux, je trouve qu’il est en train de vivre un hiver fait de beaucoup d’obligations. Il était à Abu Dhabi pour le premier rassemblement de son équipe; on l’a ensuite vu au gala de son agent Alex Carera d’où il a mis le cap pour un critérium et une soirée de charité à Monaco. Il y a une dizaine de jours, il était à Gran Canaria pour s’y entraîner mais aussi faire la promotion de cette île comme destination cycliste. À mes yeux, cette période doit avant tout être elle d’une pause mentale. La tête a besoin de se ressourcer et je suis curieux de voir comment le Slovène va digérer tout ça… Il y a quelques années, j’ai le sentiment que c’est le même type de style de vie qui a participé au déclin de Sagan. Même quand tu es trop fort, tu as besoin d’un peu de quiétude.
guillement
Je suis curieux de voir comment le Slovène va digérer cet hiver et toutes ses obligations…
A. M. : Partout où il va, il y a toujours une forme d’attention permanente qui l’accompagne et c’est aussi cela qui est usant. J’étais trop jeune pour le percevoir mais quand mon papa parle de sa fin de carrière, c’est la fatigue mentale bien plus que la fatigue physique qui lui pesait le plus. À un moment, le cerveau dit stop aux jambes.
Pogacar avait impressionné Johan Museeuw pour son premier Paris-Roubaix. © Cor Vos Fotopersburo-Video ENG
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Johan, voyez-vous Pogacar gagner Paris-Roubaix la saison prochaine ?
J. M. : En avril, il a fait une erreur de pilotage en attaquant trop vite un virage que je connais bien. Sans cela, il est fort probable qu’il arrivait avec van der Poel sur le vélodrome et que c’est au sprint que se jouait la victoire entre ces deux phénomènes. Pour un coup d’essai, je trouve que c’était déjà un coup de maître. Ce n’est pas facile de lâcher le Slovène sur le plat vous savez, même sur les pavés (rires)…
Milan-Sanremo ne sera-t-il pas le monument le plus difficile à conquérir pour lui ?
A. M. : Le plus grand problème de Pogacar pour la Primavera mais aussi Paris-Roubaix, c’est van der Poel. Sans le Néerlandais, Pogi aurait déjà enlevé tous les monuments ! C’est aussi simple que ça. Heureusement, pour ceux qui jugent Pogacar trop dominant, que Mathieu peut l’embêter sur le terrain des courses d’un jour (rires)…
J. M. : Si je devais me réincarner en un coureur actuel du peloton, je choisirais van der Poel sans hésitation. Pogacar est évidemment le meilleur du monde mais j’adore la classe que dégage Mathieu et le fait qu’il ne court que pour la gagne. C’est la seule chose qui l’intéresse. Il vit pour ça… Un exemple très concret de ce que j’avance m’a vraiment marqué. L’année où il est champion du monde à Glasgow, MVDP avait roulé le Tour de France en songeant déjà à ce Mondial alors que, dans le même temps, Wout van Aert s’était mis à la planche pour porter Vingegaard au succès final. Le jour J, c’est cette différence dans l’approche qui a fait la différence entre la médaille d’or du Néerlandais et celle d’argent de l’Anversois…
Vous parliez en amont de la manière dont Pogacar gérait son hiver et sa notoriété. Van der Poel, lui, voit les choses d’un tout autre œil…
A. M. : Totalement, et je trouve que sa gestion de ce pan de sa carrière est admirable. Entre deux classiques, il rentre dans son appartement en Espagne pour profiter d’un environnement relax, il va jouer au golf pour se vider la tête du vélo. Il réalise ses stories sur Instagram mais c’est quelqu’un qui ne se perd dans les sollicitations et les obligations. Il a compris que la tête était aussi importante que les jambes.
La grosse frayeur de Mathieu van der Poel, à deux doigts d’une lourde chute à l’entraînement (VIDÉO)