En 2007, SU Agen était sur le point de faire venir de gros poissons, Mathieu Bastareaud et Byron Kelleher, quand il se vit reléguer en Pro D2 à la surprise générale. Les deux vedettes sont parties ailleurs et plus rien ne fut comme avant au SUALG.
C’est un moment qui a marqué l’Histoire. En mai 2007, pour la première fois de son histoire, Agen fut relégué en deuxième division après une terrible descente aux enfers. Septième du Top 14 à la trêve, le club vécut une deuxième partie de saison cauchemardesque, avec pour finir, une série de sept matchs sans succès, il aurait suffi d’une seule victoire pour éviter la chute. Le limogeage des entraîneurs Didier Faugeron et Loïc Van der Linden le 30 avril ne servit à rien, pas plus que l’autogestion finale menée par un quatuor de cadres (Luc Lafforgue, Conrad Stolz, Lucas Ostiglia, Mathieu Lièvremont)
Le poison s’était répandu lentement dans les veines des Lot-et-Garonnais jusqu’au claquement du couperet, le 26 mai et une défaite face au Stade Français futur champion (18-5). Agen jouerait la saison suivante en Pro D2, comme le signal que le rugby français serait de plus en plus hostile aux villes moyennes. Mais l’histoire dans l’histoire, c’est que cet événement survint au moment où le SUA était en passe de faire venir deux recrues de choix. Un Français de 18 ans (et de 110 kg) très prometteur, Mathieu Bastareaud, et le demi de mêlée des All Blacks, rien que ça, Byron Kelleher, alors en pleine préparation de la Coupe du Monde.
Deux mois auparavant, les dirigeants du club avaient dévoilé en en grande pompe, le projet Agen 2010, censé ramener le club aux huit Brennus au sommet du rugby français. C’est à l’occasion de cette grande conférence de presse que le nom de Byron Kelleher (30 ans, 49 sélections) était sorti. Et il avait produit son petit effet.
Les deux dossiers étaient ficellés
Deux jours plus tard, après un succès de sa franchise en Super 14, Byron Kelleher confirmait son choix et l’explique à la presse de son pays : « J’ai des sentiments mitigés. J’ai eu du mal à décider si je devais rester en Nouvelle-Zélande et continuer ma carrière ou si je devais changer de vie […] Je pense que ce changement est un défi supplémentaire. Je pars dans un endroit où l’on ne parle pas anglais et j’ai vraiment hâte de m’immerger dans la culture locale. J’ai pris la décision il y a environ trois semaines que j’étais prêt à quitter la Nouvelle-Zélande ». Byron Kelleher avait tenu à annoncer son départ au plus tôt afin de pouvoir se focaliser pleinement sur son ultime mission avec les Blacks : ramener une deuxième Coupe du monde au pays, vingt ans après la première consécration.
Le cas de Mathieu Bastareaud était un peu différent. Ce trois-quarts centre surpuissant de 18 ans n’avait encore joué en Top 14, ni même en Pro D2. Il jouait en Fédérale 1 à Massy, mais à la surprise générale, Bernard Laporte l’avait sélectionné pour la tournée estivale en Nouvelle-Zélande. Du jamais-vu pour un joueur du troisième niveau. Mais le président de Massy était un chef d’entreprise nommé Alain Tingaud, et il était aussi administrateur et amoureux du SU Agen. Il s’apprêtait à prendre les rênes du club du Lot-et-Garonne, fort de certains moyens financiers. Le fait d’amener ce fameux Bastareaud dans ses bagages semblait tout naturel. Les supporteurs du SUA se frottent les mains, avec ce Philippe Sella des temps modernes, leur club sera armé pour tenir tête à Toulouse, Biarritz, Clermont, le Stade Français les cadors du moment.
Mais les sept stations du chemin de croix étaient passées par là. Les meilleurs dirigeants du monde n’auraient pas pu résister à la dégringolade, même Albert Ferrasse et Guy Basquet n’auraient pu faire mieux. Dès le 27 mai, au lendemain du verdict du Top 14, « le Bison » Byron Kelleher évoque publiquement une imminente volte-face : « Je suis actuellement en phase de négociations et j’étudie toutes les options. J’avais dit dès le départ aux dirigeants d’Agen que je voulais disputer la Heineken Cup et le Top 14. Je veux jouer au rugby au plus haut niveau…..Si je vais dans un autre club, il sera français. Le style de vie, le style de jeu et ce défi me plaisent », ajoute-t-il. Le Stade français, déjà intéressé en début d’année essaie de se replacer. Mais c’est à un autre Stade, qui joue en rouge et noir, que le numéro 9 va donner sa préférence. Jean-Michel Rancoule, chargé du recrutement de Toulouse, effectue le déplacement jusqu’en Nouvelle-Zélande pour convaincre le joueur des Chiefs de choisir la Ville rose. Mission accomplie. Le 7 juin, depuis l’hôtel des All Blacks, alors en préparation du Tri-Nations, Byron Kelleher glisse l’information aux journalistes présents : « Vous pouvez l’écrire, j’ai signé mercredi soir. » Le jeudi, la nouvelle est confirmée en France : le demi de mêlée a paraphé un contrat de deux ans, avec une option pour une saison supplémentaire. « Il est bien informé de la qualité du jeu toulousain et il est surtout heureux de retrouver un club français après son échec avec Agen », précise Jean-Michel Rancoule, pas peu fier de ce dénouement.
Le 25 juillet, soit quatre jours après un Nouvelle-Zélande-Australie (26-12) qui avait scellé le sacre des All Blacks dans le Tri-Nations, Byron Kelleher débarque à Ernest-Wallon pour une première prise de repères : « Je m’installerai à Toulouse le 1er décembre, après avoir fêté le titre mondial au pays », prédit alors Kelleher, sans se douter que son arrivée se ferait au contraire avec le boulet d’une défaite face aux Bleus accrochée à son pied.
Côté Bastareaud, les choses aussi ont changé. Le trois-quarts centre de Massy n’est finalement pas parti en tournée en Nouvelle-Zélande avec les Bleus à cause d’une blessure à un genou. Le 1er juin, l’information tombe : Mathieu Bastareaud a signé un contrat de trois ans au Stade français. Pourtant, il avait déjà apposé son paraphe sur un papier à en-tête du SUALG. Mais le Stade Français avait flairé le coup, il ne pouvait laisser partir un Francilien aussi prometteur, non seulement en Province, mais en Pro D2. « On avait tout fait pour l’intercepter, je ne vous le cache pas, expliqua plus tard Max Guazzin (l’Equipe). Il a fallu le récupérer à Agen, on s’est battus pour ça ». Jusqu’à payer un dédit.
Le club ne pouvait supporter les charges de joueurs comme ça
Alain Tingaud inaugura sa présidence du SUA sur cet enchaînement funeste. « Je garde un sentiment de frustration évidemment. J’avais proposé à Daniel Dubroca de renforcer le projet. On était dans les six ou sept premiers du championnat et donc je suis parti en Nouvelle-Zélande, alors que j’étais encore président de Massy. Mais j’avais d’abord convaincu Mathieu de rejoindre le SUA, il était jeune, il devait avoir 18-19 ans En Nouvelle-Zélande, on avait fait signer Kelleher et je me souviens qu’on avait fait aussi une belle approche avec Joe Rokocoko et puis, le club est tombé en Pro D2. Mathieu et Byron sont venus me voir pour me dire : « On n’est pas là pour jouer en Pro D2″. Mais de toute façon, le club ne pouvait pas supporter les charges de joueurs comme ça. »
Le nouveau président se retrouva devant un petit champ de ruines car tout le recrutement programmé depuis des mois venait de tomber à l’eau : « Ce fut vraiment une grosse frustration parce qu’au-delà de ces deux joueurs connus, il y avait quatre ou cinq autres éléments de grande qualité qui auraient certainement énormément renforcé le SUALG. » Se remémorer cette histoire et ces venues avortées, c’est aussi prendre conscience qu’à l’époque, onze ans après le passage au professionnalisme, Agen jouait encore dans la cour des grands sur le plan financier. Il avait plus de 9 millions de budget et pouvait faire venir des cadors de l’Hémisphère Sud. Alain Tingaud poursuit : « Attention, ça commençait à être compliqué pour les clubs des villes moyennes. Quand je suis arrivé au club sans être encore président j’avais apporté un peu d’argent pour valider quelques joueurs. Je me souviens d’un troisième ligne argentin, Lucas Ostiglia, qu’il avait fallu garder. On commençait à sentir la pression des grandes villes avec leurs gros moyens par rapport aux lieux historiques du rugby, comme Agen. Mais on pouvait encore lutter parce qu’il y avait un très très gros partenariat. Et j’arrivais comme président avec certains moyens financiers. »
Ce printemps 2007 est vraiment à marquer d’une pierre noire. « Je ne vais pas refaire l’histoire, si Agen était resté dans le haut du tableau avec ces recrues-là, il aurait eu sa carte à jouer pendant quelques années. Mais pendant ma présidence, on est monté trois fois en Top 14 et on a fait trois finales de Pro D2. Donc on a quand même joué à haut niveau. » Quand Alain Tingaud évoque un gros partenariat, il fait référence à plusieurs entreprises qui ne mégotaient pas leur soutien comme UPSA, la firme de produits pharmaceutiques et surtout le groupe Bigard, spécialiste dans le négoce de viande : « C’était un gros partenaire historique. Il s’affichait sur le maillot et je ne citerai pas de chiffres, mais je peux vous dire que c’était l’un des plus gros sponsors maillot du championnat. Jean-Paul Bigard était vraiment très engagé auprès du club. »
Kelleher champion 2008 avec Toulouse
Il aurait donc suffi d’une victoire en ce printemps 2007 et l’Histoire du SUALG en eut été changée. Sans doute, même si la puissance des budgets aurait fini par parler. L’âge d’or du club était passé, contrairement aux temps de l’amateurisme, il ne faisait plus la loi dans le recrutement. Ses supporteurs suivirent à distance la carrière impressionnante de Mathieu Bastareaud, à Paris, Toulon et Lyon. Et dès l’année suivante, il suivirent dans leur canapé à la finale remportée par Toulouse face à Clermont (26-20), on avait rarement vu une finale transcendée à ce point par la performance d’un seul homme, Byron Kelleher justement.