Par
Glenn Gillet
Publié le
13 déc. 2025 à 9h00
L’essentiel
- En mars 2026, Paris aura un ou une nouvelle maire, Anne Hidalgo (PS) ayant décidé de ne pas briguer de troisième mandat. L’enjeu majeur est identifié : la capitale basculera-t-elle à droite, après vingt-cinq ans de gouvernance socialiste ? À trois mois du scrutin, les candidats de gauche peinent à s’unir pour présenter une liste unique au premier tour (15 mars); la droite apparaît divisée.
- Un élément plus technique pourrait aussi rebattre les cartes à l’issue du second tour (22 mars) : la réforme de la loi PLM, contestée, mais validée par le Conseil constitutionnel (lire l’encadré), et qui introduit pour la première fois depuis quarante ans un double scrutin.
- Avant que les électeurs parisiens se prononcent, actu Paris a cherché à prendre la température auprès d’eux. En allant à leur rencontre, dans les allées des hauts lieux de la vie locale que sont les marchés, et en leur demandant ce qu’ils attendent vraiment des élections municipales, ce qu’elles doivent changer ou non dans leur vie de tous les jours. Dans le deuxième épisode de notre série, direction le 5e arrondissement.
Cela fait 30 ans qu’Hervé, médecin urgentiste retraité de 73 ans, habite dans le 5e arrondissement de Paris, sur le boulevard Saint-Germain. Journal sous le bras, il zyeute les étals du marché Maubert, dans le quartier de la Sorbonne. Il a des choses à dire sur les enjeux qui concernent son quartier, notamment sur la question du commerce, mais tient à souligner, en souriant, que « les problématiques des gens du 5e, comme moi, ce sont des problématiques de gens aisés, privilégiés ».
Pierre, enseignant de 37 ans travaillant dans le Val-de-Marne, habite, lui aussi, l’arrondissement depuis 30 ans et y est attaché. Locataire, il fait toutefois part de son amertume car il a peu de chance de pouvoir acheter un logement dans le secteur, en raison des « prix monstrueux ». Ce jeudi 11 décembre 2025, actu Paris a sondé les habitants du 5e arrondissement, avant le premier tour des élections municipales prévu le 15 mars 2026. S’ils ont peu d’avis sur leur maire Florence Berthout (Horizons), ils ont des opinions parfois radicales sur leur quartier.
Développement des magasins de grandes chaînes « attrape-touristes »
Romaric, 48 ans, vient d’acheter une boîte de raviolis tibétains sur un stand du marché Maubert. Ce journaliste culturel, qui explique être un « récent habitant du 5e », se dit d’emblée très ému par la « disparition des librairies, qui se transforment partout en boutiques de fringues », un phénomène qui « dénature l’âme de ce quartier », qui abrite de nombreux sites universitaires et grandes écoles. S’il salue la végétalisation progressive du secteur, il lâche un brin provocateur : « Moi je préfère que ce soit les librairies qui se multiplient plutôt que les baobabs dans des pots de fleurs ».
Comme Romaric, de nombreux habitants pointent une certaine déliquescence des petits commerces indépendants dans l’arrondissement, en particulier du côté du boulevard Saint-Michel, qui fait office de frontière avec le 6e : « tous les commerçants s’en vont ! Et leurs locaux ont du mal à être repris, c’est la déprime », partage Odile Le Gal, 74 ans, retraitée du secteur de la photographie. Pierre déplore lui aussi la disparition des « vieux commerces » qui avaient chacun leur identité propre au profit des grandes chaînes « attrape-touristes », en particulier dans le secteur entre Maubert et Notre-Dame.
Sur la question de la propreté des rues, les avis des habitants sont aussi différents que tranchés : « les trottoirs sont dégoûtants, c’est de pire en pire avec tous les gens qui mangent dehors tout le temps », regrette Odile Le Gal. « Il y a des crottes de chiens partout. J’ai une voisine qui dit que devant chez elle, ce n’est plus un trottoir mais un crottoir », abonde Jacques, 85 ans, retraité du secteur de la formation aux métiers de la construction. « Pas un problème », répliquent quatre autres personnes interrogées.
Même division sur le thème de la sécurité : tous estiment que l’arrondissement est sûr, hormis Assia qui y habite depuis une quinzaine d’années, et qui cherche à partir depuis que des « voyous » boivent et dealent en bas de chez elle, vers le boulevard Saint-Germain, depuis environ deux ans. « Je cherche vraiment à partir maintenant », affirme-t-elle. Hervé estime qu’on « voit un certain pauvreté qui s’est accrue mais qui n’est pas pour autant génératrice de violences ». Lui s’inquiète surtout de la « montée des extrêmes », dont il estime le 5e épargné mais redoute une montée de LFI dans le nord-est de la capitale qui pourrait avoir une influence sur la mairie centrale.
Un arrondissement qui a « perdu pas mal de jeunes »
Jacques souhaite aborder un autre enjeu qui est source d’inquiétude pour lui : le fait que l’arrondissement ait « perdu pas mal de jeunes qui vivaient sur place » notamment autour des sites universitaires, du fait de la hausse des loyers et des prix de vente des logements au cours des dernières décennies. « Ils amenaient une certaine gaieté. Aujourd’hui, le 5e est un arrondissement de retraités. Tous ces immeubles entièrement peuplés de gens de mon âge, ça manque un peu de vie parfois », regrette-t-il, qualifiant de « miracle » l’installation récente d’un couple avec un jeune enfant dans son bâtiment. « Et il y a de plus en plus de logements qui deviennent des meublés touristiques de type Airbnb, ça participe à une touristification », complète Pierre, l’enseignant officiant dans le Val-de-Marne.
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Jacques tient aussi à évoquer la question des projets d’urbanisme dans le 5e, où il vit depuis 25 ans : « je trouve qu’on a gaspillé beaucoup d’argent à faire des travaux partout, comme rue Mouffetard où c’était très bien comme c’était avant, alors qu’on n’a même pas les moyens de bien entretenir les bâtiments publics », déplore-t-il.
Dans leur grande majorité, les autres habitants interrogés saluent eux la végétalisation des espaces urbains, à Paris comme dans leur arrondissement tout comme l’accroissement du nombre de pistes cyclables : « Moi je pense qu’il faut aller vers ça. C’est quand même mieux si on arrive à supprimer la voiture, au moins un petit peu », sourit Jacqueline Clavreuil, 81 ans, habitante du quartier depuis 20 ans, croisée bouquet de fleurs à la main au marché de Port-Royal. Elle souligne toutefois qu’elle possède une voiture, même si elle l’utilise peu, principalement pour transporter son mari, qui est en situation de handicap. « Moi je fais du vélo donc je suis plutôt pour les pistes cyclables mais les cyclistes ont barbarisé les rues », dénonce Romaric, le journaliste culturel, « certains vélos ou certaines trottinettes vont à 50 sur les pistes cyclables, ça crée de l’agressivité de tous les côtés ».
Un tournant dans la vie municipale
Depuis 1982, les élections municipales se déroulaient (à Paris, Lyon et Marseille) par arrondissement, et non pas à l’échelle de la ville. Les électeurs votaient pour une liste de conseillers d’arrondissement : une partie d’entre eux devenaient conseillers de Paris, et étaient alors chargés d’élire le premier édile. Avec cette réforme, les électeurs devront désigner séparément leurs conseillers d’arrondissement, qui éliront ensuite leur maire d’arrondissement, et leurs conseillers de Paris, qui éliront, eux, le premier édile. Le véritable changement sera en réalité l’abaissement de la prime majoritaire pour la liste arrivée en tête à l’issue des municipales. En clair : elle remportera non plus 50%, mais 25% des sièges au Conseil de Paris, le reste des sièges sera réparti quant à lui à la proportionnelle. Les différentes tendances politiques seront mieux représentées, mais la majorité peut s’en retrouver affaiblie.
Les habitants rencontrés ont également été interrogés sur la réforme du scrutin municipal dite « PLM » (Paris-Lyon-Marseille), adoptée en juillet. Certains n’en avaient pas entendu parler, d’autres si, mais sans forcément comprendre ce qui allait changer concrètement. « Je ne sais pas vraiment comment ça va fonctionner », confie Pierre, « mais j’ose espérer qu’on sera guidés le jour de l’élection ».
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