« C’est le premier dossier où nous avons travaillé sur une coupole mafieuse. On est parti du sommet et tout le travail a consisté à avoir une vision panoramique, comme le font l’anti-mafia ou le FBI aux États-Unis pour éradiquer dans toutes ses composantes une organisation criminelle ». Les déferrements étaient toujours en cours ce lundi après le coup de filet anti-stups de la semaine dernière dans ce vaste dossier où la police judiciaire et le parquet de Marseille sont persuadés d’avoir porté un coup majeur contre le réseau de narcotrafic de la cité de la Castellane, dans le XVIe arrondissement de Marseille. Ses caïds gèrent le point stups le plus lucratif de la ville avec un chiffre d’affaires annuel estimé à 40 millions d’euros en 2023.

Une vingtaine de personnes avaient été interpellées jeudi 24 avril par 170 policiers à Marseille mais aussi en Moselle, après une enquête « exceptionnelle » de plus d’un an contre « l’un des clans criminels les plus puissants » de la cité phocéenne.

Et cette fois, ce ne sont pas les guetteurs ou les « charbonneurs » qui sont concernés, mais le haut d’une « coupole mafieuse hiérarchisée et structurée », une organisation « d’un capitalisme criminel le plus bestial », selon les mots du procureur de la République de Marseille Nicolas Bessone. 23 personnes ont été placées en garde à vue, 16 trafiquants présumés, dont « huit grands gérants » de points de deals, ont été déférés ou étaient sur le point de l’être ce lundi et cinq d’entre eux avaient déjà été placés en détention provisoire.

La Jirs de Marseille avait ouvert une enquête du chef criminel, rarement utilisé et puni de 30 ans de réclusion criminelle, de « direction de groupement ayant pour objet une activité liée aux stupéfiants » mais aussi de « blanchiment aggravé » et « association de malfaiteurs ». Au vu de l’ampleur du dossier, trois magistrats instructeurs ont été nommés.

« Une entreprise mafieuse hiérarchisée, autour d’un leader unique »

Si les opérations de pilonnage et « place nette XXL » avaient perturbé le trafic de cette cité emblématique qui abrite huit points de deal identifiés et fait chuter le chiffre d’affaires annuel à 15 millions d’euros, le fonctionnement « hiérarchisé et structuré du réseau » lui avait permis de rebondir sur d’autres cités voisines. Et de créer aussi des « drive » temporaires et de développer des comptes Telegram pour des livraisons à domicile. Les appartements servant de « nourrices » où sont stockés la drogue avaient été également délocalisés.

« Nous plaçons au sommet de cette organisation Mohamed Djeha qui a été arrêté en juin 2023 en Algérie où il purge une peine et qui a également été condamné à deux peines de 10 et 30 ans de réclusion criminelle, précise Nicolas Bessone. Nous avons mis au jour une entreprise mafieuse hiérarchisée, autour d’un leader unique. Les acteurs de l’organisation semblaient être soumis aux décisions prises par son frère Rachid Djeha et se référaient quotidiennement au principal contremaître, le DRH, qui serait le superviseur historique du trafic de la Castellane. »

L’information judiciaire avait été ouverte en juin 2024, mais c’est en janvier que l’enquête allait connaître une accélération décisive. Europol, qui avait réussi à craquer la messagerie cryptée « Exclu » utilisée par l’organisation de la Castellane, remettait en effet aux enquêteurs marseillais des données saisies sur des disques durs. SMS, messages vocaux, images et vidéos sans équivoque ont livré aux investigateurs une vue panoramique sur les activités du groupe mafieux.

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Une liste de méfaits impressionnante : trafic de stupéfiants, corruption mais aussi assassinats ou tentatives d’assassinats sur des rivaux, punition de « petites mains » du trafic dont le lynchage en cas de « fautes professionnelles » était diffusé sur les réseaux sociaux « pour montrer l’exemple aux autres récalcitrants ». Mais aussi extorsions sous prétexte de service de sécurité à l’encontre de rappeurs ou d’influenceurs dont les trafiquants devenaient parfois les managers… Même si aucune plainte n’a été déposée en ce sens. Sans compter la reprise violente de points de vente par des commandos, la mise en place de nouveaux plans stups, l’achat d’armes « dans un contexte de vendetta ».

À la recherche de liens avec l’étranger

« C’est une première, on s’est attaqué à une véritable organisation criminelle, on a tapé au niveau des membres les plus importants qui étaient présents sur le territoire national. Une partie, qui est supérieure, est encore hors d’atteinte car elle est à l’étranger, mais elle est complètement identifiée, reprend le commissaire général Philippe Frizon, patron de la PJ marseillaise. À terme, des mandats d’arrêts seront délivrés à leur encontre. »

« L’organisation criminelle de la Castellane est une organisation de niveau international, pyramidale : un chef, une famille, des adjoints et des responsables de terrain, poursuit le commissaire. Il y a obligatoirement des liens en dehors du territoire. » L’enquête va désormais se poursuivre sur le volet blanchiment mais aussi sur les ramifications internationales des gangs marseillais, notamment en Belgique.