Par

Augustin Delaporte

Publié le

28 avr. 2025 à 18h16

« C’est l’institution des chercheurs, l’un des plus importants établissements sous la tutelle du ministère de la Culture, mais, en réalité, elle tourne grâce à des contrats précaires », lance Laure*, 27 ans, auprès d’actu Paris. Comme elle, plusieurs autres agents du service public en CDD d’un an renouvelable une fois, dits « vacataires », à la Bibliothèque nationale de France (BnF), sont en grève tous les samedis depuis le 1er mars 2025. « C’est le jour où nous sommes une majorité à travailler », argue-t-elle. 
Un autre ajoute : « On veut se sortir de la précarité. » Un malaise qui ne date pas d’hier. En 2016, déjà, des agents de la plus grande bibliothèque de France, située dans le 13e arrondissement, dénonçaient leurs conditions de travail. Rebelotte en 2022, avec, en toile de fond, la réorganisation du service public. Laure reprend : « Un protocole de sortie de grève [un accord] avait été obtenu, mais il n’est pas respecté. »

Le « travail de trois personnes à la fois »

Dans leur viseur, les « circuits mobiles », notamment. Une agente vulgarise : « À la BnF, les magasins, où sont rangés les documents, sont desservis par des stations. Aujourd’hui, on [les vacataires] tourne chacun sur trois stations, alors qu’il faudrait un magasinier par station… En clair, on court tout le temps. » 

Autre point noir de la réforme de 2022, qui rend, selon les manifestants, particulièrement « pénible leur travail » : le remplacement des communications directes par des différées. Concrètement, les personnes voulant accéder à un document doivent en faire la demande la veille et peuvent y avoir accès, seulement, à partir de midi. 

Un contestataire soupire. « Cela se traduit par une surcharge de travail sur une plage d’une heure, entre midi et 13 heures, confie-t-il. Les chariots sont pleins à craquer et il n’y a souvent pas assez de nacelles pour tout transporter. En plus d’empiéter sur notre mission principale qui est de donner un accès direct aux collections. » 

Turnover incessant pour remplir… une mission permanente 

Des conditions « très physiques », selon Laure, auxquelles s’ajoute la précarité de l’emploi. « On est sur des contrats de 80, voire 60 heures [par semaine]. Ce qui correspond à un salaire oscillant entre 800 et environ 600 euros par mois. Pour ceux qui le demandent, nous aimerions monter à 110 heures, ce qui nous permettrait d’avoir une paye plus vivable », dit-elle. 

Elle poursuit : « Nous souhaitons également pouvoir passer en CDI [à temps partiel] afin d’avoir une forme de sécurité de l’emploi et le temps de suivre des formations, de passer des concours. » Les manifestants évoquent, aussi, régulièrement un « système verrouillé » où les vacataires restent deux ans, sans perspectives de s’inscrire sur le long terme à la BnF.

« On a des collègues qui ont passé des entretiens, mais on leur a dit qu’en tant qu’anciens vacataires, ils n’ont pas les compétences… Alors qu’on exécute les mêmes tâches que les titulaires », explique un interlocuteur à actu Paris. Puis de lâcher : « Résultat, il y un turnover constant. On est les petites mains de la BnF. »   

La grogne monte depuis des mois

Des discussions internes, entre d’anciens vacataires ayant connu la grève de 2022, aujourd’hui titularisés, et ceux actuellement en place, suivies de la fin « brutale » du contrat d’une agente qui souhaitait rester, ont finalement abouti à l’envoi d’un courrier à la direction, en novembre 2024.

Celui-ci étant resté lettre morte, les contestataires ont décidé de « confronter » directement leurs interlocuteurs. « Les dirigeants faisaient la sourde oreille, alors on est monté [dans les étages] pour intercepter le directeur général et la directrice des ressources humaines, juste avant un conseil d’administration », rembobine un vacataire. 

Ces derniers n’avaient alors, visiblement, pas eu vent du courrier. Les négociations ont, ensuite, démarré. « Pour l’heure, nous n’avons rien obtenu, hormis une note de suivi et un rappel de nos droits qui, étaient, jusque-là, bafoués », s’exaspère-t-il. 

Un « bras de fer » qui pourrait durer

Une impasse qui a, presque inévitablement, conduit les agents, soutenus par des organisations syndicales (Sud Culture, CGT BnF, FSU), à se mettre en grève le 1e mars 2025, d’abord pour le mois d’avril, avant que le mouvement ne soit reconduit pour mai. Une pétition a aussi été lancée le 21 mars sur le site Change.org – celle-ci avait récolté, fin avril, près de 800 signatures.

Les agents précaires ne veulent plus être traités comme des agents jetables.

Texte issu de la pétition des agents de la BnF

« Dans un scénario idéal, lors de la prochaine réunion, nous obtiendrons un retour à l’embauche en CDI pour les contractuels à temps incomplet sur besoins permanents, le passage à 110 heures par mois pour ceux qui le souhaitent et la fin des circuits mobiles », imagine un manifestant.

Sans être complètement dupe : « Dans les faits, nous espérons arracher de petites avancées au fil des réunions. C’est ce qui nous motive à intensifier la grève. » 

La réponse de la direction, invitée par actu Paris à s’exprimer sur les différents points mentionnés, est, elle, laconique. « Attentive aux conditions de travail de l’ensemble des collaborateurs de l’établissement », elle dit étudier « les revendications du mouvement social en cours ».

Et de conclure, froidement : « De premières propositions ont été formulées en direction de l’intersyndicale et les discussions entre partenaires sociaux ont vocation à se poursuivre ces prochains jours. » 

*Les prénoms et les identités des interlocuteurs d’actu Paris ont été anonymisés.

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