Une octogénaire a été jugée mardi 9 décembre 2025 par le tribunal correctionnel de Marseille pour avoir poignardé son époux un an plus tôt, après presque soixante ans de vie commune sans histoire.

Photo illustration Frédéric Speich

Noël 2025 sera le premier depuis 58 ans que Marie A. passera sans son époux. Alain, victime d’un AVC en 2020 et d’une maladie de Parkinson qui depuis 2019 diminuait ses capacités physiques et cognitives, est parti paisiblement le 5 mars dernier dans un Ehpad, entouré par sa femme et leur fils. Une fin sereine, bien loin de la scène chaotique qui avait secoué la vie de ce couple d’octogénaire le 10 janvier 2024, un an auparavant, et qui a valu ce mardi 9 décembre, à la veuve de comparaître devant la justice pour violence avec arme.

Devant la juge Florence Garzino, c’est une vieille dame gracile vêtue de noir, carré blanc encadrant un visage inquiet, qui s’est présentée pour raconter l’unique scène de violence de leur vie commune de quasi-six décennies. Le jour des faits, Marie A. se trouvait dans la cuisine de leur appartement du quartier Baille, dans le 5e arrondissement de Marseille.

Blessure superficielle à l’abdomen

Couteau à la main, elle découpait de la viande tout en discutant vivement avec son époux de documents bancaires égarés, lorsque ce dernier aurait levé la main, menaçant, et insultant. « C’est la première et la dernière fois que tu m’insultes de salope », lui aurait-elle répondu, avait-elle relaté dans sa première audition. L’octogénaire aurait ensuite frappé son mari, l’atteignant superficiellement à l’abdomen avec sa lame, avant d’appeler police et pompiers, paniquée.

Placée en garde à vue puis mise en examen pour une tentative de meurtre requalifiée plus tard en violences, la vieille dame avait été placée sous contrôle judiciaire, interdite d’entrer en contact avec son mari. Au fil de l’enquête, à mesure que leur entourage décrivait un couple uni, sans aucun antécédent de violence (« Je n’ai même pas souvenir d’une contravention… »), la juge d’instruction avait progressivement autorisé Marie A. à revoir son époux qui la réclamait.

3 ans de prison avec sursis requis

À la barre, cette prévenue hors du commun que la présidente a guidée dans son interrogatoire avec délicatesse, a raconté le déclin de son mari, son épuisement face aux symptômes de plus en plus envahissants de sa maladie. Sa peur, lorsqu’il avait levé la main, dans un inhabituel mouvement d’agressivité. « Je regrette ce qu’il s’est passé. […] Il s’est mis à crier, il n’était plus lui. », a-t-elle bredouillé.

Marie A. n’a pas ému la jeune magistrate stagiaire qui officiait au parquet sous la houlette d’une collègue plus expérimentée et qui, rappelant la gravité des faits, a requis trois ans de prison avec sursis, et la peine complémentaire obligatoire d’interdiction pour Marie A. de percevoir la pension de réversion de son époux. Elle n’a pas eu gain de cause.

La dispense de peine, une mesure rare

Car de l’autre côté de la barre, l’avocat de l’octogénaire, Kevin Lefebvre-Goirand, a plaidé pour une mesure rarement accordée dans le monde judiciaire : une dispense de peine. « C’est la dispute d’un couple usé par la maladie. Il n’y a eu qu’un geste isolé, pas un acharnement. […] Dispenser de peine quelqu’un qui reconnaît sa faute en raison de circonstances exceptionnelles, ce n’est pas lui pardonner : c’est estimer que cette personne s’est déjà infligé sa propre peine », a-t-il supplié la présidente.

Florence Garzino a préféré la clémence à la répression : Marie A. a été reconnue coupable, mais dispensée de peine. Soutenue par son fils, l’octogénaire a quitté le tribunal, un peu hébétée. Invitée à s’exprimer en dernier, juste avant d’entendre le délibéré, la vieille dame avait murmuré à la barre : « On était tellement heureux tous les deux, je le regrette beaucoup. »