Après des mois de «je t’aime, moi non plus», les Etats-Unis et la Chine ont trouvé, fin octobre, une issue provisoire à leur différend commercial. Cette trêve devrait perdurer au moins jusqu’à la visite officielle de Trump à Pékin en avril prochain. «Néanmoins, les rivalités structurelles enferment toujours ce G2 dans une logique d’escalade», avertit Raphaël Gallardo, chef économiste au sein de l’équipe Cross-Asset de Carmignac. La symbiose économique entre les deux géants s’est construite à partir des années 1990, lorsque les Etats-Unis ont accueilli la Chine dans leurs orbite commerciale et financière dans l’espoir d’enclencher sa libéralisation politique.

Mais, échaudés par Tienanmen et l’effondrement de l’URSS, les dirigeants communistes «avaient accepté cette mondialisation ‘made in USA’ dans le seul but que la prospérité économique garantisse la survie du régime. Fort de sa résurrection économique, Pékin vise désormais l’hégémonie mondiale et s’attèle au démantèlement systématique de ses dépendances réciproques avec son rival stratégique», fait valoir l’expert. Côté américain, la prise de conscience que ce mariage de convenance avait échoué date de l’ère Obama. Mais c’est Trump qui a officiellement entamé la procédure de divorce en 2018 avec l’imposition de droits de douane massifs. Depuis, Washington «considère l’émancipation par la force du géant chinois, dont la reconquête de Taiwan fait partie intégrante, comme une menace existentielle. Le découplage commercial, financier et technologique est donc inéluctable», met en garde Carmignac.

Le divorce Chine – Etats-Unis sera douloureux

Le degré d’imbrication économique est néanmoins tel que le divorce sera douloureux pour les deux partis. La Chine «dépend encore des États-Unis selon quatre axes critiques : finance, alimentation, énergie et technologie. Pékin détient plus de 3 000 milliards d’actifs en dollars, soumis au risque de confiscation par Washington. Plus de 70% de son commerce extérieur reste libellé en dollars. Sa sécurité alimentaire et énergétique repose sur des importations maritimes traversant des détroits contrôlés par l’US Navy», rapporte l’expert de la société de gestion. Et malgré des subventions colossales, son industrie des semi-conducteurs fait toujours face au mur infranchissable des 7 nanomètres.

Les États-Unis, eux, dépendent de la Chine pour nombre de minéraux critiques (graphite, terres rares, cobalt…) et certains segments industriels, des panneaux solaires aux antibiotiques. Toutefois, ces vulnérabilités «sont réversibles. Washington peut diversifier ses chaînes d’approvisionnement en moins d’une décennie. Les gisements et les savoir-faire existent sur son sol ou chez ses alliés (Japon, Australie…). Les fragilités chinoises sont, elles, structurelles. Une décennie d’assouplissements de la politique de l’enfant unique n’est pas parvenue à inverser l’implosion démographique. La dépendance aux importations de matières premières s’inscrit dans la géographie du pays et le temps long du changement climatique. Le retard technologique est beaucoup plus difficile à combler à proximité de la frontière technologique», juge Raphaël Gallardo.

Les inflexions récentes témoignent de la soumission de tous les leviers politiques à la lutte pour l’hégémonie mondiale. Malgré la montée en puissance du protectionnisme chez ses partenaires, Pékin «cherche à maintenir le dumping à l’exportation comme principal moteur de croissance. Rien de concret n’est fait pour réveiller le consommateur ni enrayer la rechute du marché immobilier. Le plan quinquennal donne la part belle à l’autosuffisance technologique et la diffusion de l’IA dans l’industrie. Il fait le choix d’une économie de guerre, quitte à sacrifier l’emploi des jeunes et la cohésion sociale», relève l’économiste.

Le temps joue contre la Chine, dont les faiblesses sont structurelles

Pourquoi cet empressement ? Pékin sait que le temps joue contre lui. Chaque année qui passe, les États-Unis sécurisent un peu plus leurs chaînes d’approvisionnement. Les faiblesses de la Chine, «elles, sont structurelles. Les six derniers mois ont confirmé que la Chine jouit pour l’instant de la domination dans l’escalade, mais elle sait que le rapport de force s’inversera d’ici cinq ans. Elle a donc intérêt à déclencher l’escalade en premier, dans la fenêtre de tir qui la favorise», fait valoir l’expert.

Fragilisé dans les sondages à l’approche des élections de mi-mandat, Trump a saisi l’occasion d’une victoire politique facile à Busan. Mais la logique de rivalité reste intacte. Pour la Chine, «il ne s’agit que d’une pause tactique, dont elle profitera pour fourbir ses prochaines armes. Le passage de l’interdépendance à une coexistence pacifique sous un nouveau rapport de force ne se fera pas sans heurt. Pour l’heure, profitons du calme avant la tempête», préconise Raphaël Gallardo.