Par

Hervé Pavageau

Publié le

28 avr. 2025 à 18h20

Un musicien de jazz recouvre une partie de la cimaise. La peinture est exposée jusqu’au 10 mai à la médiathèque de Haute-Goulaine (près de Nantes, en Loire-Atlantique). Elle est signée David Corbard. Agé de 47 ans, le peintre amateur est l’un des membres des Pinceaux du Marais, nom de l’atelier et de l’association qui se retrouve chaque semaine. Tous les mercredis, pendant deux heures, David suit la voix d’Alain Parent, son guide. La relation auditive est aussi tactile. Le bénévole retraité, ancien monteur à France Télévision, touche les mains de David, non voyant.

« Là, je lui dis, tu vas monter. Il monte »

« Sa main droite prend le pinceau. Là, je lui dis, tu vas monter. Il monte. Là, tu peux t’arrêter au sommet, tu peux redescendre. Après avoir fait la base, David revient donner des petites touches de couleur, des effets », explique Alain.

Cela fait huit ans que le binôme, complice, travaille ensemble. Pour David Corbard, l’atelier de peinture est plus qu’une respiration.

Aveugle en 2015 à l’âge de 37 ans

Ces moments de création, de partage et d’échanges ont permis sa reconstruction.

Cela m’a délivré des angoisses. Ça va beaucoup mieux comparé aux années où cela n’était que peur.

David Corbard, non voyant depuis dix ans

Ces années dont parle David, ce sont celles qui vont suivre 2015, lorsque le monde du Goulainais est devenu noir.

Ancien agent de restauration dans un établissement scolaire à Nantes, David Corbard « s’est mis à voir sombre soudainement », raconte Yveline, sa mère.

Alors domicilié à Saint-Sébastien-sur-Loire, le trentenaire part aux urgences.

Après une batterie d’examens et un scanner, l’évaluation tombe.

Une hypertension crânienne a commencé à dégrader les nerfs optiques.

Opéré en urgence à l’hôpital Laennec, au nord de Nantes, David Corbard apprend, quelque temps plus tard, en janvier 2016, qu’il est « non-voyant total ».

« On était au fond du puits »

« On était au fond du puits », se souvient la Goulainaise, veuve, qui venait de perdre son conjoint quelques années plus tôt.

Commence alors un long et difficile parcours pour trouver une réponse de soins adaptée au Goulainais qui retourne vivre chez sa mère, à Haute-Goulaine, en raison de sa soudaine cécité.

L’institut des Hauts Thébaudières à Vertou, spécialisé dans le suivi des personnes connaissant une déficience visuelle grave, ne peut pas prendre en charge David.

Tout réapprendre pour vivre avec le handicap

C’est au gré de rendez-vous à Angers et surtout d’une prise en charge à l’hôpital Sainte-Marie, établissement situé dans le 14e arrondissement de Paris, que l’habitant du Vignoble nantais va tout réapprendre pour vivre au quotidien avec son handicap.

Le non-voyant est suivi et accompagné par des médecin, ophtalmologiste, psychologue, ergothérapeute, psychomotricienne…

Il y est resté neuf mois. En fin de parcours, il est revenu à la maison. Il était incapable de vivre seul.

Yveline Corbard, la mère

Depuis 2017, Yveline et David, suivi par la MDPH (Maison départementale des personnes en situation de handicap), et accompagné par des spécialistes, « se débrouillent » pour la vie de tous les jours.

Aux marches avec sa mère, quand le temps le permet, l’art est venu mettre aussi un peu de couleur dans la vie du Goulainais.

Passionné de musique, David travaille le synthé à l’école de musique de Saint-Sébastien-sur-Loire depuis trois ans.

« Il a un professeur qui a adopté sa pédagogie et son enseignement », explique Yveline Corbard.

Il chante aussi dans la chorale Marais en chœur.

Mais c’est surtout dans la peinture que le non-voyant s’est révélé.

Au contact d’Alain Parent, David Corbard exprime son art, ce qu’il ressent.

La preuve avec son dernier tableau intitulé Ose, un titre d’une chanson de Yannick Noah.

La peinture, un exutoire

Dans ce tableau en relief, l’artiste amateur y décrit ses passions : la musique, le chant, la peinture.

Au milieu de la peinture, trône un œil assez grand.

Joli symbole et beau moyen pour montrer qu’aujourd’hui, David voit « autrement et d’une autre façon » :

C’est ma façon de dire que même si je suis non voyant, il faut que je vive ma vie quand même, que j’ose faire des choses, avoir des projets. Et que j’ai des envies.

David Corbard

Le procédé de création est très méthodique.

« C’est en marchant qu’on apprend », répète Alain Parent.

« Les premières séances, on a beaucoup échangé pour se connaître et trouver des bases de travail qui conviennent à David ».

« Trouver la manière du comment peindre sans voir »

Entre les deux, le lien est fort.

Avec le temps, chacun a rempli sa boîte à outils « pour trouver la manière du comment peindre sans voir ».

La construction du tableau se fait comme un puzzle.

Au départ, il y a l’idée du thème de la peinture, souvent liée à la musique ou à un lieu, un film, une émotion.

« Tous les tableaux sont réalisés dans la tête de David. Lorsque l’on sort d’un rêve le matin, on a un vague souvenir des choses. C’est éphémère. David, lui, est obligé de voir son tableau à l’intérieur de son cerveau, mentalement, pour le décrire et tout expliquer pour qu’on puisse le réaliser. S’il ne fait pas ce travail en amont, il n’y a pas de peinture », explique Alain Parent.

Une fois les idées couchées sur papier, le guide fait une pré-maquette, élément par élément, qu’il décrit à son élève.

« En complément du toucher, je lis l’image. J’explique la totalité du dessin, comme si j’étais en train de lire un livre. Je décris lentement tout, de haut en bas, et de gauche à droite ».

Quand la maquette est validée par David, et avant de peindre, le Goulainais non voyant touche tous les éléments qui composent le tableau sorti de sa tête.

Je lui décris au fur et à mesure qu’il passe avec sa main, ses doigts. Là, tu es dans les cheveux qui sont de telle couleur…

Alain Parent, bénévole à l’association des Pinceaux du Marais

Idem pour le choix de la palette des couleurs.

Avant de peindre, David les choisit, au son de la voix de son guide.

« Cela m’oblige à trouver des exemples pour décrire la couleur. Est-ce que tu te rappelles la couleur de la tomate, ce rouge, quand tu en mangeais ».

« C’est tout dans la voix. David m’entend tout le temps »

Commence alors l’étape de la peinture.

David prend un pinceau, un couteau…

Ce travail, c’est 90 % de son activité. Toutes les pièces sont peintes une par une…

« C’est tout dans la voix. David m’entend tout le temps. Il reproduit ce qu’il entend de ma voix », commente le retraité qui ne connaissait pas le monde du handicap, avant de rencontrer David.

Au début, les séances étaient très crispées. David était très réservé. Il y avait peu de paroles. Je ne savais comment ouvrir ces problématiques relationnelles, c’est là que la musique a été un lien fort.

Alain Parent.

Un guide pour qui le contact avec David a aussi été « une sacrée thérapie ».

Travail sur un tableau aussi audio

Au fil du temps, la méthodologie s’est affinée.

Le duo réfléchit même à joindre au tableau une partie audio.

L’idée est d’expliquer le tableau comme si on lisait un livre en décrivant chaque scène rencontrée par les doigts.

David Corbard
David Corbard devant son synthé et près de ses tableaux. Autant de moments de création qui permettent à cet artiste amateur, aveugle, de se reconstruire. ©HSM

Le but est de permettre à une personne voyante de se mettre dans les conditions d’un non voyant « en faisant aller la main à la vitesse du son audio pour découvrir le tableau et essayer de voir différemment avec ses yeux et mentalement », explique le Goulainais, admiratif de la capacité de David à voir les choses et à les mémoriser.

Les séances durent plusieurs semaines. Il faut qu’il se rappelle ce qu’il a fait, qu’il recherche dans sa mémoire tout ce qu’il avait prévu de faire. C’est son tableau.

Au fil des ateliers, les tableaux sont venus remplir la maison.

Certains sont posés, près du synthé.

« C’est un mieux pour ma santé »

Plongé dans le noir, David Corbard a appris à mettre de la couleur dans ses tableaux et son quotidien.

L’art a ouvert la voie de la résilience.

C’est un mieux pour ma santé. Cela m’empêche de gamberger, d’avoir de mauvaises idées. Et cela m’a permis de rencontrer beaucoup de monde.

David Corbard

A ses côtés, Yveline, sa maman, sourit, touchée.

« Quand je le vois heureux, je suis bien », avoue la maman « très reconnaissante » des gens qui accompagnent son fils, peintre non voyant qui ose.

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