COMPTE RENDU D’AUDIENCE – Fatima A. est suspectée d’avoir détourné 53.000 euros à des dizaines de foyers des quartiers nord aux revenus modestes, leur promettant des voyages à des prix attractifs sans jamais les honorer.
Des vacances en camping amputées d’une semaine, des séjours à Disneyland inexistants ou des voyages à New York annulés au dernier moment sans explication. L’escroquerie soigneusement orchestrée par Fatima A. a de quoi donner le vertige. Mais c’est surtout l’attitude de la quadragénaire, qui n’a cessé de nier son implication dans cette affaire tentaculaire impliquant une trentaine de foyers, qui sidère.
L’ex-présidente de l’association «Grand Cœur» comparaissait ce lundi 28 avril devant le tribunal correctionnel de Marseille pour des faits d’abus de confiance sur de nombreuses victimes issues de milieux modestes et résidant dans les quartiers nord. Un peu plus de 53.000 euros avaient été soutirés à ces derniers entre septembre 2022 et décembre 2023 par Fatima A., qui leur avait proposé des voyages à des prix défiants toute concurrence. Mais les séjours n’ont jamais été honorés et les fonds siphonnés aux victimes.
«J’avais pris un voyage pour mes deux enfants et ma femme pour trois journées à Disneyland. J’ai effectué un premier paiement en janvier et un second quelques mois plus tard. Une semaine avant le départ, je n’avais aucune nouvelle. Puis le séjour a été annulé, soi-disant à cause du prestataire de services. On ne sait pas quoi faire dans ce genre de situation», souffle Gautier à la barre. L’homme, qui avait dépensé plus de 1200 euros pour ce voyage très attendu, ne reverra jamais la couleur de son argent.
Jusqu’à 6000 euros détournés en une fois
Un scénario qui s’est répété pour de nombreuses parties civiles rassemblées sur les bancs du tribunal afin de faire bloc contre Fatima A., accusée de leur avoir vendu du rêve avant d’anéantir tous leurs espoirs. Sans formation ni diplôme d’État, la Marseillaise s’était lancée dans la création d’une association locale œuvrant pour les personnes dans le besoin, leur proposant notamment d’organiser des vacances à prix réduit. Une perspective salvatrice pour de nombreux foyers des 13e et 14e arrondissements, tous attirés par un phénomène de bouche-à-oreille.
L’initiative avait finalement perdu de sa superbe fin 2023, lorsque de nombreuses victimes de l’escroquerie, parfois arnaquées à hauteur de 6000 euros, ont découvert la supercherie et se sont mobilisées pour traduire en justice l’escroc qui tentait de les mener en bateau. En témoignent ces photos prises à l’hôpital et envoyées aux familles en guise d’excuse pour des remboursements non honorés, ou ces problèmes de santés sans cesse agités pour justifier une absence de réponse et de remboursement.
«Je reconnais avoir pris de l’argent pour un séjour, j’ai été hospitalisé pour un problème au cervelet», souligne la prévenue. «Vous mettez en avant vos problèmes de santé, vous l’invoquez sans cesse par message pour dire que vous passez de mauvaises périodes. Vous allez même jusqu’à prendre des photos du père d’une partie civile sur son lit d’hôpital, et vous l’envoyez à tout le monde en le faisant passer pour votre oncle afin d’expliquer votre absence. Comment pouvez-vous vous autoriser à utiliser ces photos ? », s’étrangle la présidente du tribunal devant une assemblée médusée.
Subventions de 13 Habitats
«J’ai subi du harcèlement par des personnes qui veulent me détruire. Il y a eu des malentendus. Je me suis perdue, je me suis embrouillée», tente de se justifier très maladroitement Fatima A., refusant de reconnaître toute forme de culpabilité malgré des preuves accablantes. L’étude des comptes de l’association Grand Cœur a ainsi révélé que la suspecte avait opéré de nombreux virements vers son compte bancaire personnel, dépensant l’argent des familles lésées dans du matériel multimédia, du carburant et même une prestation dans un institut de beauté.
Pis encore, Fatima A. est soupçonnée d’avoir embarqué avec elle sa propre fille âgée d’une vingtaine d’années en la nommant trésorière de son association à son insu. La quadragénaire s’est aussi emportée contre ses propres victimes, les accusant d’un coup monté pour la faire tomber. «Madame, est-ce qu’une parole a une valeur ?», s’est emportée la présidente du tribunal devant un énième retournement de veste de Fatima A., dont la structure était autrefois soutenue par le département et le bailleur social 13 Habitat à coups de subventions de plusieurs milliers d’euros.
Un soutien qui interroge et n’a pas fait l’objet d’une grande considération lors des débats, alors même que la prévenue avait été élue au conseil d’administration du bailleur, qui lui octroyait un local de plus de 200 mètres carrés à prix réduit. Une proximité démentie en janvier 2024 par sa présidente Nora Preziosi, qui avait indiqué au Figaro avoir écarté Fatima A. de son conseil d’administration. «Elle s’est servie de mon nom, en expliquant être ma collaboratrice. Je vais faire attention à ce que cela ne se reproduise plus».
Clientélisme
«Ce n’est pas une affaire de détournement de fonds, mais plutôt une espèce de branche du clientélisme marseillais qui va être sectionnée aujourd’hui. Il y a des personnes qui se plaignent de ne pas avoir eu accès à des prestations. Ce sont des personnes très modestes et qui se retrouvent aujourd’hui perdues. Je ne comprends pas pourquoi Nora Preziosi n’est pas là aujourd’hui», pique Sébastien Delogu. Le député LFI, qui avait signalé les faits au procureur de la République via l’article 40 du code de procédure pénale, était présent toute la journée à l’audience pour suivre les débats.
«C’est un honneur d’accompagner ces victimes, dont la confiance abusée a été durablement abîmée. Le piège était imparable, parce qu’il y a le même lieu de vie, des quartiers peu favorisés de Marseille, des relations amicales, Madame A. qui s’affiche sur les réseaux avec des élus locaux. Et le lieu de commission de l’infraction, ce local d’Habitat 13. Avec comme un pied de nez, cette association Grand Cœur. Comment ceux-là ne pouvaient pas tomber dans le piège ?», a plaidé Me Nicolas Berthier, avocat représentant plus d’un tiers des parties civiles.
«On a 17.000 euros qui partent directement de l’association vers son compte personnel. Lorsqu’on l’interroge, elle va dire qu’elle s’est embrouillée. Mais la vie, ce n’est pas une ardoise magique. On ne peut pas effacer ce qu’on a fait», a ajouté la procureur dans son réquisitoire, requérant une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis assorti d’une amende de 5000 euros et du remboursement des fonds détournés.
«Confrontée à une gestion complexe des imprévus, ma cliente s’est laissée progressivement entraîner dans un engrenage qui a dépassé ses intentions originelles. Elle aurait dû assumer, elle le regrette profondément», a tenté de nuancer l’avocate de la prévenue, Me Sheryan Cherigui. La décision du tribunal sera rendue le 11 juin prochain.