L’accord a été arraché au forceps. Réunis à Bruxelles, les ministres européens de la Pêche ont mis plus de deux jours – et une nuit de discussions – pour s’entendre sur les quotas applicables en 2026. Un calendrier inhabituellement long, révélateur des tensions croissantes autour de la gestion des ressources halieutiques, dans un contexte de pression environnementale et de crispations diplomatiques.
C’est le maquereau qui cristallise les difficultés. L’espèce, dont la population s’est fortement contractée dans l’Atlantique Nord, fera l’objet d’une réduction de 70 % des captures sur les six premiers mois de 2026. Une baisse massive, légèrement inférieure toutefois aux recommandations scientifiques, qui préconisaient un recul de 77 %.
La situation illustre un enchevêtrement de facteurs climatiques et politiques. Sous l’effet du réchauffement des eaux, le maquereau a migré vers le nord, devenant l’objet de rivalités accrues entre États côtiers. L’Union européenne accuse notamment la Norvège – mais aussi le Royaume-Uni, l’Islande et les îles Féroé – de surpêche et de non-respect des avis scientifiques. Les consultations avec ces pays tiers sont toujours en cours. En attendant, Bruxelles a opté pour des quotas provisoires, une solution transitoire qui souligne l’absence de gouvernance partagée sur cette ressource stratégique.
Diplomatie de la pêche en panne
La France n’a pas caché son exaspération. La ministre de la Pêche Catherine Chabaud a dénoncé l’attitude « inacceptable » de plusieurs voisins de l’UE et appelé à une véritable « diplomatie de l’océan », capable de peser face aux pratiques jugées non durables. Paris plaide même pour des sanctions commerciales, une option encore loin de faire consensus à Bruxelles.
Les divisions ne se limitent pas aux relations avec les pays tiers. Pour la première fois depuis près de quarante ans, l’Irlande ne bénéficiera pas des préférences de La Haye, un mécanisme lui accordant des quotas majorés pour certaines espèces, dont le maquereau. La France a réuni une minorité de blocage — avec la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Pologne — pour s’y opposer. Dublin a exprimé son « extrême déception », une décision vécue comme un désaveu politique et qui a suscité la colère des pêcheurs irlandais, déjà fragilisés par la baisse des volumes autorisés.
Sur les autres espèces, l’accord dessine une carte contrastée : hausse des quotas de langoustines dans le golfe de Gascogne (+ 54 %, hors zone sud), baisse limitée du lieu jaune (-13 %, contre -26 % initialement envisagés) et statu quo en Méditerranée occidentale, après les tensions de l’an dernier.
Un équilibre jugé précaire par les ONG environnementales. Pour Oceana, cette stabilité apparente masque une réalité plus sombre : des stocks toujours soumis à une pression excessive après des décennies de surpêche.
Côté professionnels, le comité national des pêches évoque une situation contrastée. « Les baisses sur des espèces clés comme le maquereau ou le lieu jaune auront des impacts lourds pour les pêcheurs et pour toute la filière », avertit son président Olivier Le Nézet, tout en saluant quelques signaux positifs sur le bar.
Derrière ces arbitrages techniques, une question demeure : l’Union européenne peut-elle encore défendre une politique commune de la pêche face à la fragmentation géopolitique et aux urgences climatiques ? Faute de stratégie partagée avec ses voisins, Bruxelles avance désormais à coups de compromis temporaires — au risque de voir la ressource, elle, ne pas attendre.