Ceux qui ont eu la chance de pouvoir flâner un jour sur la Via Toledo à Naples, sur la Gran Vía à Madrid, dans les rues commerçantes de Paris ou sur la Mariahilfer Strasse à Vienne le savent bien : chaque vitrine raconte une histoire faite d’efforts, de prises de risques, de savoir-faire transmis. Ce patrimoine économique, héritage de millions de travailleurs européens, est aujourd’hui menacé par un raz de marée qui prospère par écrans interposés.
Car derrière des prix toujours plus bas, certaines très grandes plateformes de commerce en ligne ont fait de la transgression de nos règles leur modèle économique. Des autorités françaises, allemandes, espagnoles, néerlandaises ou belges l’ont documenté : produits dangereux, poupées à caractère pédocriminel accessibles en quelques clics, armes dissimulées, contrefaçons, manipulations algorithmiques pour pousser à acheter de manière compulsive…
Aucun commerçant de Barcelone, Gand ou Munich ne pourrait vendre de tels produits dans sa boutique sans être immédiatement sanctionné. Et pourtant, dans l’espace numérique, l’immatérialité se transforme trop souvent en impunité.
L’Europe possède pourtant une réponse : le Digital Services Act (DSA). Un principe clair : la loi qui s’applique sur le terrain à nos entreprises nationales s’applique aussi sur Internet aux plateformes étrangères. Les pratiques interdites dans les commerces physiques le sont aussi en ligne. Mais cette ambition n’a d’utilité que si elle s’accompagne d’actions.
Sans quoi nous ne serons pas crédibles, et les géants du numérique continueront d’agir comme si notre marché n’était qu’un vaste laboratoire du non-droit. D’autant plus vaste que les États-Unis ont récemment fermé une partie de leurs marchés à ces produits, qui sont désormais concentrés sur le marché européen.
Respecter les règles européennes n’est pas une option. Et défendre l’Europe n’est pas un caprice.
C’est pourquoi la France prend plusieurs initiatives gouvernementales et parlementaires. Avec des députés engagés issus de huit groupes parlementaires, nous avons proposé et fait voter une proposition de résolution qui enjoint à la Commission européenne d’activer pleinement ses pouvoirs d’enquête et de sanction. Notre résolution dit une chose simple : respecter les règles européennes n’est pas une option. Et, inversement, défendre l’Europe n’est pas un caprice.
C’est défendre un principe essentiel de droit et de marché : la règle est la même pour tous.
Le combat pour le respect de nos règles par les très grandes plateformes ne doit pas être uniquement moraliste. Il doit être juridique. Ce combat ne se limite pas seulement à l’émotion qu’il suscite. Il est profondément économique.
Car derrière chaque objet passé sans contrôle douanier, chaque contournement de TVA, chaque manipulation des consommateurs, ce sont les couturières du Portugal, les tisserands de Prato, les ateliers textiles du Roannais, les PME de Saxe qui sont pénalisés. Ce sont nos centres-villes qui s’éteignent. Ce sont nos emplois manufacturiers et commerciaux qui disparaissent, et nos commerces de proximité qui s’affaissent.
La Commission européenne dispose d’un outil puissant avec le DSA, encore faut-il l’activer pleinement et rapidement. Il est urgent de lancer une enquête pour les plateformes qui ne respectent pas nos règles, il l’est encore plus de clore ces enquêtes et d’activer les sanctions. Rien ne sert de légiférer si on ne sait pas sanctionner à temps. Le temps est venu.
L’Europe a mis des décennies à bâtir des filières solides, des règles protectrices, une économie du respect. Rien de tout cela ne peut être bradé face à celles et ceux qui prospèrent en contournant chaque obligation, en exploitant des travailleurs dans des conditions indignes, en se moquant des conséquences de son modèle sur l’environnement, en inondant nos marchés de produits dangereux, et qui fragilisent, à une allure déroutante, nos savoir-faire et notre identité.
Nous appelons désormais nos collègues de tous les Parlements nationaux d’Europe à se saisir de cet enjeu et à demander avec empressement à la Commission d’agir. Nous attendons qu’elle ait enfin la force d’imposer simplement le respect du droit.
L’Europe doit se faire respecter, et pour cela elle doit absolument faire respecter ses règles. Une Europe respectée est une Europe qui protège ses citoyens, ses entreprises et ses valeurs. Faisons respecter le droit, rapidement et totalement. C’est le but de notre résolution. Avançons.