Lorsque George Lucas imagina le double coucher de soleil sur Tatooine en 1977, la plupart des astronomes considéraient ce décor comme une pure fantaisie cinématographique. Les systèmes stellaires binaires, pensait-on, créeraient des perturbations gravitationnelles bien trop chaotiques pour permettre la formation de planètes stables. Près de cinquante ans plus tard, non seulement nous savons que de telles planètes existent, mais pour la première fois, des chercheurs ont réussi à capturer une vidéo montrant l’une d’elles accomplir une partie de son orbite autour de ses deux étoiles. HD 143811 AB b vient de transformer la science-fiction en réalité observable.
Quand la fiction rencontre l’astronomie moderne
Le terme même de planète de type Tatooine témoigne de l’influence profonde de Star Wars sur notre imaginaire scientifique. Mais au-delà de l’anecdote culturelle, cette désignation reflète une réalité astronomique longtemps considérée comme improbable. Les systèmes binaires représentent pourtant une configuration stellaire extrêmement courante dans notre galaxie. Ce qui semblait contradictoire était la possibilité qu’une planète puisse se former et maintenir une orbite stable dans un environnement gravitationnellement aussi perturbé.
Les découvertes récentes ont balayé ces doutes. Nous savons désormais que les planètes circumbinaires, pour utiliser leur appellation technique, sont probablement répandues à travers la Voie lactée. Toutefois, leur détection demeure exceptionnellement difficile. Sur les six mille exoplanètes actuellement répertoriées, seule une fraction infime orbite autour de systèmes doubles. Et parmi celles-ci, encore moins ont été photographiées directement.
Le défi titanesque de l’imagerie directe
Photographier une exoplanète représente l’un des défis techniques les plus ardus de l’astronomie contemporaine. L’éclat d’une étoile écrase complètement la faible luminosité d’une planète orbitant à proximité. Dans un système binaire, cette difficulté se trouve évidemment doublée. Les astronomes doivent donc s’appuyer sur des conditions très spécifiques : des planètes suffisamment éloignées de leurs étoiles et assez jeunes pour rayonner encore dans l’infrarouge la chaleur résiduelle de leur formation.
Les deux cas précédents d’imagerie directe de planètes similaires concernaient des mondes orbitant à des distances supérieures à cinq cents fois celle séparant la Terre du Soleil. Des orbites si démesurées suggéraient que ces planètes avaient peut-être été capturées gravitationnellement plutôt que formées sur place, laissant planer le doute sur leur processus de naissance.
Crédit : Jason Wang/Université NorthwesternVidéo en accéléré de l’exoplanète récemment découverte, semblable à Tatooine et six fois plus grande que Jupiter, effectuant son lent voyage autour de deux étoiles.Une découverte sortie des archives
L’histoire de HD 143811 AB b illustre parfaitement comment la science progresse parfois par révision plutôt que par observation nouvelle. Le Dr Jason Wang avait consacré l’essentiel de sa thèse de doctorat à scruter plus de cinq cents étoiles avec l’imageur planétaire Gemini installé au Chili, un instrument spécifiquement conçu pour cette chasse aux exoplanètes. Résultat décevant : une seule planète découverte durant toute la durée de vie opérationnelle de l’instrument.
Près d’une décennie plus tard, à la veille du transfert de cet équipement vers un autre observatoire, Wang demanda à Nathalie Jones, alors doctorante, de réexaminer méthodiquement les anciennes données. Les techniques d’analyse avaient considérablement progressé entre-temps, offrant une sensibilité accrue et des algorithmes plus sophistiqués pour filtrer le bruit de fond. Jones repéra alors ce que personne n’avait vu auparavant : un point lumineux suivant fidèlement les deux étoiles HD 143811 dans leur déplacement céleste entre 2016 et 2019.
Cette technique de confirmation repose sur un principe simple mais implacable. Les étoiles ne restent jamais immobiles dans la galaxie, elles possèdent toutes un mouvement propre. Une planète gravitationnellement liée accompagnera nécessairement son étoile hôte dans ce déplacement. À l’inverse, une étoile d’arrière-plan apparaîtra stationnaire par rapport au mouvement de l’étoile observée. Cette signature cinématique permet de distinguer avec certitude une planète d’un simple alignement visuel fortuit.
Un laboratoire pour comprendre la formation planétaire
HD 143811 AB b présente des caractéristiques remarquables. Avec une masse équivalant à cinq virgule six fois celle de Jupiter, elle affiche une température de sept cent soixante-neuf degrés Celsius, presque le double de celle de Vénus. Ces conditions extrêmes, combinées à son jeune âge de treize millions d’années, expliquent pourquoi elle demeure visible dans l’infrarouge malgré sa relative proximité de ses étoiles.
Son orbite de trois cents ans la place à une distance équivalente au double de celle séparant Neptune du Soleil, tandis que ses deux étoiles tournent frénétiquement l’une autour de l’autre en seulement dix-huit jours. Cette configuration suggère fortement que la planète s’est formée in situ plutôt que d’avoir été capturée, offrant aux chercheurs une opportunité unique d’étudier les mécanismes de formation planétaire dans les environnements binaires.
Plus de cinquante astronomes ont contribué à confirmer la nature planétaire de cet objet et à en extraire le maximum d’informations. Par une coïncidence scientifique satisfaisante, une équipe indépendante a simultanément découvert la même planète, validant ainsi doublement l’observation. L’équipe cherche maintenant à obtenir davantage de temps d’observation pour suivre l’évolution de cette danse cosmique à trois corps, espérant percer les mystères encore nombreux entourant ces systèmes extraordinaires.
Cette découverte vient de faire l’objet de deux études publiées dans The Astrophysical Journal Letters et Astronomy and Astrophysics.