Par

Ludivine Laniepce

Publié le

14 déc. 2025 à 18h56

C’est une audience longue – elle aura duré 6 h 30 -, et délicate qui s’est tenue au tribunal correctionnel de Cherbourg (Manche) dans la soirée du 9 décembre 2025. À la barre, Charles*, un ex-ambulancier aujourd’hui âgé de 59 ans, comparaissait pour agression sexuelle sur une résidente de l’Ehpad de Martinvast.

La victime, que nous appellerons Catherine*, est à cette époque âgée de 66 ans. Placée sous tutelle, elle est invalide à 80 % et sous protection depuis 1983. Elle est décrite, avant les faits, comme « gaie », « joyeuse » et « agréable », mais aussi « enfantine » au regard de son retard mental.

La présidente précise d’emblée : « Elle a certes des difficultés à organiser son discours, mais sa connaissance de la sexualité est très réduite. » Son ancienne tutrice et sa tutrice actuelle le confirment : « Elle n’a jamais exprimé de sentiment amoureux. »

Un curieux cadeau

Le 15 février 2023, en fin d’après-midi, Charles, qui ne travaille pas mais qui porte sa tenue d’ambulancier, lui rend visite dans la salle d’animation de la maison de retraite. Il lui remet son « cadeau d’anniversaire », à savoir une chemise de nuit rose en nylon.

Le lendemain matin, Catherine appelle sa tutrice car ce curieux présent la met très mal à l’aise. Dans la journée, le personnel soignant constate à son tour que son comportement est inhabituel. Pire : Catherine saigne au niveau de l’entrejambe.

À partir de là, elle parvient à expliquer que l’homme qui lui a offert cette chemise de nuit est revenu plus tard, après le repas, mais cette fois dans sa chambre. Elle décrit des caresses, indique qu’il s’est couché sur elle, qu’il a retiré son pantalon, qu’il l’a pénétrée avec ses doigts et qu’elle a, selon ses mots, vu « du pus sortir de son zizi ».

Les tutrices sont formelles : « Elle n’a pas pu inventer tout ça. » L’homme aurait ensuite quitté la chambre par la fenêtre. Catherine est examinée à l’unité médico-judiciaire et dépose plainte. L’examen gynécologique met en lumière des saignements, des irritations et des lésions récents.

Travestisme et fétichisme

Les enquêteurs identifient Charles comme étant l’homme désigné par Catherine. Oui, il est venu lui offrir un cadeau. Non, il n’est pas revenu plus tard.

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Je ne comprends pas. Je ne lui ai rien fait ! J’ai tendance à la croire. Elle a subi une agression sexuelle, mais ce n’est pas moi !

Charles, le prévenu, à la barre

Qui est donc cet homme de taille et de corpulence moyennes et à l’air penaud ? Ambulancier, marié, sans enfants, il est décrit comme « aidant » et « bienveillant », bien qu’un peu « simplet » et « naïf », par ses collègues.

Pourtant, lors de leurs perquisitions, les enquêteurs vont révéler ses activités solitaires, embarrassantes certes, mais pas illégales pour autant. Dans sa voiture et dans le cabanon d’un terrain qu’il entretient, ils retrouvent d’innombrables sous-vêtements féminins de très grande taille, des ballons de baudruche en guise de faux seins, des objets à caractère sexuel, un lit médicalisé… « Vous aimez vous travestir en femme, relate la présidente. Vous aimez vous prendre en photo ou vous filmer ainsi travesti et vous vous masturbez. » L’homme confirme.

L’exploitation de son ordinateur met en lumière de nombreuses images de femmes à très forte poitrine, des films pornographiques et des recherches en ligne sans équivoque. « Je souffre de travestisme à caractère fétichiste, déclare-t-il. Les grosses poitrines m’attirent et m’apaisent. »

« Passionné par les vêtements féminins » depuis ses « 10/11 ans »

La présidente, qui demande alors qu’une photo de Catherine soit projetée à l’écran, l’interroge : « Vous reconnaissez que la victime correspond, objectivement, au type de poitrines que vous mettez vous-même ? »

Il acquiesce. « Je n’ai pas pensé que ce cadeau allait déclencher tout ça, assure-t-il. Je l’ai fait car les personnes manquent de chemises de nuit dans les Ehpad. Je lui ai offert sans aucune arrière-pensée. »

Catherine ? Il dit l’avoir transportée à plusieurs reprises et n’être venu la voir que deux fois, certes sans vraiment la connaître. « Elle était souriante, je pensais qu’elle me reconnaissait, poursuit-il. Mais je n’ai pas d’attirance pour elle. »

Les expertises de Charles rapportent que ce natif de Cherbourg a perdu sa mère à l’âge de 6 ans, puis son père. Des carences, quelques « moqueries » à l’école, un CAP de boulanger, le service militaire, quelques menus larcins… Il devient ensuite ambulancier, une carrière qui le stabilise. « Timide » et « pudique », il reconnaît être « passionné par les vêtements féminins » depuis ses « 10/11 ans ».

« Ses blessures sont compatibles avec les faits qu’elle dénonce »

Les experts ne relèvent ni maladie mentale ni abolition ou altération de son discernement. Il n’a aucun antécédent. Son casier est vierge. Aucune autre victime n’a par ailleurs été identifiée par les enquêteurs.

Maître Desrues, qui représente Catherine et sa tutrice, ironise : « Il clame son innocence… bien sûr. Il risque de perdre sa femme, son travail et ses relations. Le Cotentin, ce n’est pas bien grand. Il est dans une fuite en avant pour garder la face. Ce serait une bien fâcheuse coïncidence qui lui serait tombée dessus ! Catherine colle physiquement avec les femmes qu’il recherche. Aucun saignement n’avait jamais été constaté avant. C’est un homme qui est parvenu à maîtriser sa perversion sexuelle dans le champ de sa vie intime pendant des années. Ce n’est pas illégal. Mais ça a pris de plus en plus de place. Et un jour, les circonstances ont été favorables pour lui et il est passé à l’acte. Catherine, elle, n’a pas cette capacité d’élaborer tout ça et ses blessures sont compatibles avec les faits qu’elle dénonce. »

Pour le ministère public, les éléments du dossier démontrent « la matérialité d’une agression sexuelle ». La procureure, qui demande une requalification des faits en agression sexuelle sur personne vulnérable ayant entraîné des lésions, requiert une peine de 5 ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt.

Aucune empreinte

Désormais assis sur son banc, Charles est voûté, pour ne pas dire écrasé. « L’expert ne relève aucune dangerosité criminologique, défend Maître Besson, son avocate. Rien ne confirme qu’il est allé dans cette chambre. Sa personnalité pose question mais cela n’établit pas sa culpabilité. Aucune empreinte, aucun ADN n’a été trouvé. Il n’y a pas eu de prélèvements. »

Les saignements de Catherine seraient la conséquence de son angoisse face au cadeau ou d’une automutilation. « Il n’y a pas de preuve d’un acte sexuel forcé, poursuit-elle en énumérant les variations dans les déclarations de la victime. Il y a des choses vraies, il y a des choses délirantes. C’est difficile de savoir où est la vérité. Il y a eu une certaine suggestivité, voilà mon explication. Cela m’amène à penser qu’elle n’a pas réellement été victime. C’est ce cadeau qui a créé de la confusion. Et ce cadeau, il l’a offert en toute transparence. Comment réussir à prouver ensuite que vous n’avez pas commis quelque chose ? Le doute doit lui bénéficier et je demande sa relaxe. »

Le prévenu se relève et conclut, la voix tremblante : « Je vous prie de bien vouloir me croire. Je n’ai rien fait de mal. Je suis innocent. »

Lourdement condamné

Au terme d’une heure de débats, le tribunal a condamné Charles pour agression sexuelle aggravée par la vulnérabilité de la victime et par ses lésions à une peine d’emprisonnement de 5 ans avec mandat de dépôt à effet différé avec exécution provisoire, à un suivi socio-judiciaire de trois ans, à une obligation de soins, à une interdiction d’entrer en contact avec Catherine, de paraître dans un Ehpad ou d’exercer la profession d’ambulancier pendant cinq ans.

Catherine sera dédommagée à hauteur de 10 000 euros. « Elle n’est plus la même aujourd’hui, regrettent ses tutrices. Elle est sur le qui-vive. Elle a peur des ambulanciers, elle a peur d’être agressée. On essaye de la préserver au maximum de tout ça désormais. »

*Les prénoms ont été modifiés.

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