La fraternité n’est pas seulement une belle vertu. Elle est la marque de notre appartenance au genre humain dont l’unité et le destin commun se révèlent en pleine lumière , écrivait le philosophe Jacques Ricot, lors du Covid.
Généreux, souriant, accueillant, bienveillant, précis, d’une grande honnêteté intellectuelle, il partageait sa réflexion avec les lecteurs de Ouest-France. Né en Vendée en 1945, il s’est éteint à Nantes, le 30 novembre dernier. Mais sa réflexion éclairera longtemps les débats de notre époque. Ses ouvrages en témoignent : « Peut-on tout pardonner ?» «Du bon usage de la compassion.» «Qui sauver ?L’homme ou le chien ?» «Leçon sur la paix.» «Penser la fin de vie.» «Éthique du soin ultime»…
La cohérence de sa vie a édifié ceux qui l’ont connu. Loin de rester dans sa tour d’ivoire, agrégé et docteur en philosophie, enseignant et animateur, il était un humaniste engagé. L’exigence évangélique de l’amour du prochain reliait ses paroles et ses actes. Il n’a cessé de « s’approcher de l’homme en détresse », de mettre ses talents au service des plus fragiles, des personnes gravement malades ou en fin de vie.
Son écoute et cet échange constant entre la pensée et la réalité ont donné force et clarté à sa réflexion éthique et à son engagement pour développer les soins palliatifs : « En France, on manque de culture palliative, les pratiques d’obstination déraisonnables perdurent, la douleur est insuffisamment traitée. Le personnel médical n’est pas assez formé et 21 départements n’ont pas d’unités de soins palliatifs. »
Sa parole est devenue incontournable dans les débats sur la fin de vie. Il a été auditionné par les commissions du Parlement. Homme de dialogue, il respectait les personnes y compris ses adversaires. Philosophe rigoureux, il veillait sur le sens des mots :
« Les soins palliatifs viennent rappeler que le sens profond de la véritable aide à mourir est l’aide à vivre le mieux possible tous les moments de l’existence, en particulier les ultimes. Mais voici qu’aider à mourir, par une perversion du langage, signifierait non plus soulager la souffrance mais éliminer le souffrant et donc interrompre l’aide, arrêter le soin. Or, ceux qui sont au chevet des personnes qui vont mourir témoignent qu’on peut non pas supprimer toutes les souffrances mais les apaiser » , confiait-il à Ouest-France.
Méditant sur notre condition humaine tragique, vulnérable et mortelle, il écrivait : « Ce triple rappel est cruel à entendre depuis que nous avons confondu le progrès avec la pseudo-maîtrise sur le monde et sur nous-mêmes, que nous avons cru que les bornes faites par notre statut d’homme devaient être sans cesse dépassées au nom d’une liberté devenue folle. » Il dénonçait « un déplacement civilisationnel qui fait préférer la liberté de chacun à la fraternité pour tous. »
L’œuvre de Jacques Ricot invite à penser autrement le progrès pour construire une société bienveillante et respectueuse de la vulnérabilité inhérente à chaque homme.