Derrière les tensions diplomatiques croissantes entre les États-Unis et le Venezuela, la récente capture d’un pétrolier dans les Caraïbes révèle un enjeu majeur pour le Canada : l’avenir de sa relation pétrolière avec les États-Unis.
Depuis plus de vingt ans, le pétrole lourd canadien, principalement extrait des sables bitumineux de l’Alberta, s’est taillé une place de choix aux États-Unis. Environ quatre millions de barils par jour traversent la frontière pour alimenter les raffineries du Midwest, spécialement configurées pour traiter ce type de brut.
Cette situation n’est pas arrivée par hasard. Elle découle des sanctions imposées par Washington au régime de Hugo Chávez, puis à celui de Nicolás Maduro, dirigeants d’un pays qui produit lui aussi du pétrole lourd en abondance.
À partir du milieu des années 2000, les États-Unis ont resserré l’étau sur Caracas, cherchant à limiter les revenus pétroliers du gouvernement vénézuélien, accusé de mesures hostiles, notamment contre les entreprises américaines présentes sur son territoire. Les sanctions, combinées à une gestion déficiente du secteur pétrolier par les Vénézuéliens, ont accéléré l’effondrement d’une industrie autrefois florissante : infrastructures délabrées, investissements en chute libre, fuite des talents.
La production du Venezuela s’est ainsi effondrée, passant de près 3,5 millions de barils par jour au début des années 2000 à moins d’un million aujourd’hui. Dans les années 1990 et 2000, Caracas exportait plus de 600 000 barils par jour vers les États-Unis.
Au début des années 2020, ces expéditions avaient disparu. Une tragédie pour un pays qui détient pourtant les plus importantes réserves pétrolières au monde.
Cette carence a laissé un vide que le pétrole canadien a pu combler, et même plus : depuis 2005, les exportations de brut albertain vers les États-Unis ont plus que doublé. Car le pétrole de l’Alberta est aussi du pétrole lourd, adéquatement configuré aux raffineries américaines du Midwest, trop heureuses de voir le brut vénézuélien remplacé par celui, fiable et à bon prix, provenant du Canada.
C’est ce qui confère aux tensions actuelles un intérêt particulier pour le Canada. Les ambitions du gouvernement Trump s’articulent en grande partie autour de la notion de « domination énergétique », devenue à la fois un pilier de sa politique intérieure et un moteur clé de son action diplomatique. En témoigne la création, en février, d’un Energy Dominance Council chargé de « garantir le leadership mondial des États-Unis pour les décennies à venir ».
Ce n’est pas théorique : l’Europe a dû, dès juillet, s’engager à tripler ses importations d’énergies fossiles américaines pour conclure un accord économique et tarifaire avec Washington, à hauteur de 750 milliards de dollars pour la période 2026-2028.
Avec une telle approche prédatrice, l’objectif au Venezuela semble limpide : sécuriser, voire contrôler, l’accès aux vastes réserves de ce pays pour mettre la main sur cette richesse pétrolière pour des décennies.
Avec le Venezuela de retour sous l’hégémonie américaine, le Canada verrait émerger un concurrent de taille. Le brut vénézuélien pourrait potentiellement devenir disponible en volumes massifs si l’industrie locale venait à se redresser.
En d’autres termes, ce qui se joue entre Washington et Caracas est plus qu’une anecdote de politique étrangère : c’est un dossier énergétique stratégique susceptible de redessiner la carte pétrolière de l’Amérique du Nord, en défaveur du Canada.
Vu de l’Alberta, un tel revirement rendrait d’autant plus pressante, voire vitale pour son économie, la création de nouveaux corridors d’exportation de son pétrole, afin que la province réduise sa dépendance aux humeurs et aux visées politiques de Washington.