REPORTAGE – Après quinze jours de fermeture du site en raison de l’insécurité, les salariés d’Orange sont retournés dans leurs locaux de Saint-Mauront, sous escorte policière, retrouvant avec une habitude presque routinière les trafics en tout genre qui jouxtent les lieux.
Devant les grilles d’Orange, un homme en survêtement bleu clair sort un paquet de Marlboro contre un petit billet, entre deux regards furtifs pour s’assurer qu’il n’a pas été repéré. Adossé aux grilles de l’entreprise française située dans le quartier de Saint-Mauront à Marseille, le trafiquant de cigarettes attend ensuite calmement le prochain client, qui ne tarde pas à venir. Un peu plus loin, à peine effacée de la façade à la demande des forces de l’ordre, la flèche qui indique le chemin vers l’un des principaux points de deal de Marseille a été soigneusement repeinte juste à côté de l’entrée de l’entreprise.
Dans ce décor, les salariés d’Orange poussent le grillage par grappe en ce lundi matin, sous le regard de nombreuses caméras. Des viennoiseries attendent les salariés à l’intérieur, alors que le directeur national d’Orange France, Jérôme Hénique, a fait le déplacement en personne pour rencontrer les représentants syndicaux. Mais même si Noël approche, les douceurs n’ont pas été achetées pour fêter la fin d’année, ou un résultat exceptionnel, mais bel et bien pour le retour des salariés dans l’entreprise.
Il y a quinze jours, à la surprise générale, la direction d’Orange avait annoncé la fermeture pure et simple de son site marseillais, sommant ses salariés de privilégier le télétravail, après une «montée des tensions» dans le quartier. Les syndicats avaient dénoncé des «bagarres» et une emprise du «narcotrafic » tout proche. Deux semaines plus tard, après notamment une rencontre avec la préfète de police déléguée, Orange assure avoir «préparé le retour» des salariés «dans les meilleures conditions, autour de la mise en place de plusieurs dispositifs, dont une présence policière renforcée.»
«On a l’habitude»
Sur le site toutefois, la routine a un goût un peu plus amer, et peu de choses semblent avoir évolué dans les environs de ce quartier que la préfète de police elle-même qualifie de «compliqué». Dans la matinée, une voiture de police stationne en face du site, avant de partir sous les coups de dix heures. «Ça fait vingt ans que je travaille ici, raconte Frédéric. On connaît le quartier. C’est vrai qu’il y a eu un meurtre dans le bâtiment d’en face il y a deux ans. Mais bon, on a l’habitude, c’est Marseille. C’est comme ça. Le quartier est animé. Moi-même, j’habite les quartiers nord, donc ça ne me gêne pas. On dit même bonjour aux vendeurs de cigarettes. On se connaît, maintenant. Moi, en tout cas, je suis content d’être revenu, car j’ai horreur du télétravail !»
«On n’a pas vraiment eu le choix de revenir, estime de son côté Alexandre. On a reçu un message de la direction qui nous intime vivement de revenir sur site. Ils ont commencé par les salariés piétons. Ceux qui ont eu une voiture doivent rester en télétravail jusqu’à fin janvier, car les parkings à l’intérieur du site sont encore en travaux. Après, moi, je n’ai pas peur, contrairement, c’est vrai, à certains collègues. À quoi ça sert tout ça ? La police sera là jusqu’à quand ? On s’y fait, à tout ce qui se passe.»
«Je fais confiance à ma direction qui dit avoir travaillé avec les forces de l’ordre, affirme une autre salariée. Effectivement, il y a eu quelques fusillades. La fin d’année a été compliquée pour tout le monde. Mais on vit à Marseille donc on a l’habitude. Ce n’est pas en quinze jours de fermeture que la situation va être réglée. C’est un peu fou de vivre une situation comme celle-là. Je ne minimise pas du tout le sentiment des collègues, mais je pense qu’il ne faut pas vivre dans la peur».
«Une présence en statique» de la police
Selon une source syndicale, le site de Saint-Mauront est fréquenté par seulement 20% des salariés chaque année, ce qui en fait un des sites les moins fréquentés d’Orange en France. D’après les organisations syndicales, le déménagement pur et simple serait impossible pour des raisons techniques, mais plusieurs syndicats comme la CGT ou la CFDT demande la réouverture d’autres sites Orange à Marseille, en lieu et place de ce site unique à Saint-Mauront.
Outre les patrouilles, la police maintiendra «une présence en statique» pour l’arrivée et le départ des salariés, selon la préfète de police déléguée qui a rencontré les managers. «Autour d’Orange vous avez plusieurs points de deal, et donc ça génère un sentiment d’insécurité fort pour les salariés, reconnaît Corinne Simon. Notre rôle c’est bien de faire diminuer ce sentiment». Prévu pour une quinzaine de jours encore, ce dispositif évoluera selon la situation, assure la préfète de police déléguée.