Pour une association qui lutte contre l’isolement des personnes âgées à l’hôpital, vous venez de réaliser « La Chaise », un film entièrement créé avec l’IA. Comment ce projet est-il né ?

Jean-Pierre Renard, président de VMEH [1], m’a contacté. Il souhaitait depuis longtemps faire un court-métrage pour faire connaître l’association et raconter son histoire… Histoire qui remonte à 1634, une époque où l’image n’existait pas. De fait, toutes les boîtes de production lui disaient non : la reconstitution historique, c’est très cher ! Puis, l’IA est apparue et tout est devenu possible. Il a cherché des studios spécialisés et il m’a trouvé.

Pourquoi ce film n’aurait jamais vu le jour sans l’IA ?

Parce qu’il aurait coûté un million d’euros, totalement hors de portée pour l’association. L’IA a permis de diviser ce coût par 25, soit 40.000 euros. Ils représentent 21 jours de travail étalés sur quatre mois, plus le budget pour payer les différents outils qui coûtent plusieurs centaines d’euros mensuels, et la rémunération d’un vrai comédien pour la voix off, car l’IA est très nulle de ce côté-là.

Le reste est presque 100 % IA, à part l’intervention du vrai Monsieur Renard. Il n’est mentionné nulle part que les images ne sont pas réelles. N’existe-t-il pas un risque de tromper le spectateur ?

Non. Je ne cache pas qu’il s’agit d’IA et j’ai volontairement laissé certaines hallucinations. Par ailleurs, le but n’est pas documentaire, il est de recruter des bénévoles pour accompagner les gens à l’hôpital. Ce n’est pas un travail historique.

Le problème, c’est de penser, à la base, que l’image est quelque chose de réel. Quand un peintre fait une peinture hyperréaliste, il ne prévient pas que c’est une peinture. Jusqu’à l’apparition de la photo en 1830, personne ne se disait qu’une image était un outil de preuve et je pense que c’est une très bonne nouvelle que l’IA recrée ce doute vis-à-vis de l’image. Car, même une image « réelle » n’est jamais une vérité. Il n’existe qu’un seul genre audiovisuel : c’est la fiction.


Même dans le documentaire ?

Oui, car, même là, on n’est pas neutre. On veut toujours montrer quelque chose finalement. Dans mon projet « Toulouse 24 », prochainement diffusé, j’ai justement essayé de revenir aux fondamentaux. Produire quelque chose le plus simple, le plus objectif possible : 24 épisodes de deux minutes, avec à chaque fois une quinzaine de plans de Toulouse à des endroits différents, mais à la même heure. Pas de commentaires, d’acteurs, rien. On montre la ville, telle quelle. Et pourtant, c’est quand même biaisé. Par le choix des plans, la date à laquelle c’est filmé et les événements associés, la météo…

C’est nostalgique comme démarche, non ?

Peut-être. Historique, plutôt. En 2006, je faisais un film par semaine. Le concept cartonnait, j’en ai fait 78 sur YouTube. Et il y avait un épisode où je filmais juste la ville de Saint-Mandé, en région parisienne, sans rien. En soi, ça n’a sans doute aucun intérêt. Mais dans dix ans ? Cent ans ? Peut-être que ça aura une valeur énorme… Ou pas. (sourires)

Existe-t-il désormais une vraie demande pour les productions IA ?

Bien sûr. Ce qui marche très bien en ce moment, ce sont les animations avec les objets, généralement pour des artisans ou commerçants qui n’avaient pas du tout les moyens de communiquer avant. Par exemple, une créatrice de robes de mariée ou un pâtissier. Ce sont des vidéos simples et rapides à faire.

L’IA générative est très critiquée dans le milieu créatif, notamment parce qu’on lui reproche de « pomper » le style des artistes. Comment vous positionnez-vous ?

C’est un sujet extrêmement clivant. L’un de mes amis proches a même refusé de voir « La Chaise ». Je pense que pour lui, l’IA est un voleur, elle vole le style mais surtout le salaire des artistes, graphistes, comédiens. Et que ce film symbolise tout cela.

Vous comprenez cette colère ?

Bien sûr. Mais « intelligence artificielle », c’est un très mauvais nom. L’IA n’est pas intelligente, elle ne crée rien, même pas les problèmes qu’on lui impute. Certes, elle peut les accentuer. Mais le cinéma n’a pas tué le théâtre, les effets spéciaux n’ont pas tué les comédiens. L’IA est un outil inédit mais reste un outil. L’infinie délicatesse d’un regard entre deux personnes… Elle n’y arrivera pas.

C’est certes un outil. Toujours est-il qu’il va détruire des emplois, non ?

Sans doute, mais il en créera aussi. Depuis que l’IA fonctionne très bien dans la médecine, il y a eu des embauches générées. Quand l’imprimerie est apparue, le travail des moines copistes a disparu mais d’autres métiers sont apparus. C’est dommage, je ne le nie pas, mais je crois que c’est inéluctable, ça s’appelle la vie. Tout change, tout le temps.

Vous plaidez pour la réconciliation…

Oui. J’ai envie de transmettre mon expérience, dans un but d’apaisement. L’IA, il faut juste en parler sereinement, même si c’est vraiment important de réfléchir à ce qu’on fait en ce moment. L’intelligence artificielle peut être source de mal-être, surtout dans mon secteur d’activité. Je vois autour de moi des réactions très agressives, souvent démesurées. Je m’attends même à être agressé pour mes prises de position sur le sujet. Pourtant, si l’IA est incontestablement « productive » c’est surtout la part d’imaginaire accessible qu’elle apporte que je trouve formidable. Elle ouvre un tout nouveau pan, gigantesque, dans le monde de la communication et de la créativité en général.

Propos recueillis par Marie-Dominique Lacour

Sur la photo : François Grandjacques au studio Astorg, au cœur de Toulouse. Crédit M-D.L-ToulÉco.

Notes

[1] Visite des malades dans les établissements hospitaliers, association loi 1901 située à Nantes