Chut ! Bébé dort… Abritée derrière la main d’une femme, la lueur d’une flamme filtre et éclaire la pièce dans un jeu triangulaire : elle se reflète dans la pupille de la servante, tout en faisant luire le crâne du nourrisson ensommeillé, sous le regard protecteur de sa mère. Scène religieuse ou du quotidien ? Vêtue de rouge, cette femme chaleureuse, qui pourrait être la Vierge Marie, a une aura universelle. Cette huile sur toile du milieu du XVIIe siècle est l’un des chefs-d’œuvre du Lorrain Georges de La Tour. Célèbre en son temps, l’énigmatique peintre, à la biographie lacunaire, a été oublié pendant des siècles. Jusqu’à ce que l’entrée de ce tableau – longtemps attribué à tort aux frères Le Nain – au musée des beaux-arts de Rennes en 1794, comme saisie révolutionnaire, permette, à partir de 1915, de redécouvrir son œuvre, notamment ses créations virtuoses à la chandelle. Et la lumière fut !
Pourquoi cette toile est-elle remarquable ?
Georges de La Tour surprend par son réalisme photographique. La mortalité infantile étant importante au XVIIe siècle, on ne représentait guère les nouveau-nés emmaillotés. Encore moins « vrais » ! Il a opté pour la sobriété afin de dépeindre ce qui pourrait être une Nativité – genre typique de l’art religieux –, avec la Vierge Marie, l’Enfant Jésus, et sa grand-mère, sainte Anne, vue de profil. Mais l’absence d’auréoles ou d’étoffes luxueuses donne un caractère universel à la séquence : la naissance d’un bébé est un miracle en soi.
Naissance ou veillée mortuaire ? Le mystère d’un chef-d’œuvre
Entre image religieuse ou scène de la vie quotidienne, Georges de La Tour cultive une ambiguïté délibérée. Certains historiens de l’art suggèrent une autre interprétation : il s’agirait, non d’une naissance, mais d’une veillée mortuaire, référence aux sept enfants du peintre décédés prématurément. La flamme fragile de la bougie soulignerait, dans un coup d’éclat, la brièveté de la vie humaine.
La magie de La Tour : un clair-obscur inspiré du Caravage
Inspiré par les contrastes ténébreux du maître italien Le Caravage (1571–1610), Georges de La Tour imagine un éclairage à la chandelle dans un intérieur sombre, créant un clair-obscur saisissant qui met en valeur la carnation des personnages, en particulier la peau diaphane du tout-petit. Sa maîtrise technique est au sommet, ce qui suggère une datation assez tardive, probablement une dizaine d’années avant la mort de l’artiste, en 1652.
Les mains, le détail à ne pas rater
Dans l’univers pictural de Georges de La Tour, les mains, motif répété et maîtrisé, accompagnent avec expressivité le jeu des regards. Opposés à la verticalité des corps, ces morceaux d’anatomie tirent des lignes obliques et secondaires qui se répondent. Dans un effet de contre-jour, les doigts masquent la flamme et reçoivent sa lumière.
Georges de La Tour : les grandes dates qui ont marqué la vie du peintre
- 1593 Naissance à Vic-sur-Seille, dans le duché indépendant de Lorraine, au sein d’une famille de boulangers.
- 1620 Marié en 1617 à Diane Le Nerf, une jeune fille issue d’une famille récemment anoblie, il s’installe à Lunéville. Le duc de Lorraine lui accorde des lettres d’exemption qui lui confèrent des privilèges, notamment fiscaux.
- 1621 Naissance d’Étienne. Sur ses dix enfants ne survivront que ce fils et deux filles.
- 1638 Pendant la guerre de Trente Ans, Lunéville est pillée et incendiée. Sa maison détruite, le peintre se réfugie à Nancy.
- 1639 Séjour à Paris : il est nommé « peintre ordinaire du roi » par Louis XIII. Cette distinction marque une reconnaissance officielle dans les cercles de la cour et du marché de l’art parisien.
- 1652 Le 30 janvier, il décède d’une pleurésie, peu de temps après sa femme, à Lunéville. Son œuvre sombre dans un oubli quasi total pendant près de trois siècles.
L’exposition à voir
C’est un peintre rare ! Seule une quarantaine de tableaux authentiques de Georges de La Tour sont connus aujourd’hui. Avec une trentaine de toiles et d’œuvres graphiques rassemblées, la relecture de son œuvre, aussi fascinante que mystérieuse, qui est proposée au musée Jacquemart-André, à Paris, est donc un événement !
Georges de La Tour – Entre ombre et lumière, du 11 septembre 2025 au 25 janvier 2026, musée Jacquemart-André, Paris 8e.
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