Alors que les tractations bruxelloises sur la fin des moteurs thermiques et la définition du « contenu local » des véhicules touchent à leur but, une note publiée ce mois-ci par la direction générale des entreprises (DGE) dresse un « bilan de santé » de la stratégie tricolore : la transition, estime la DGE, est bel et bien enclenchée, mais elle doit impérativement changer de rythme pour s’aligner sur les ambitions climatiques.
Les chiffres des immatriculations révèlent ainsi un écart persistant entre la trajectoire réelle et les cibles de la planification écologique. En 2024, les véhicules électriques ont représenté 17 % des ventes de voitures particulières neuves. Si ce chiffre marque une progression notable par rapport aux 10 % enregistrés en 2021, il reste en deçà du cap des 22 % qui avait été fixé par la stratégie nationale bas carbone (SNBC).
Ce décrochage se traduit par un déficit cumulé de plus de 300 000 véhicules électriques manquant à l’appel sur la période 2020-2024 par rapport aux objectifs initiaux, alimentant l’inquiétude des industriels, conscients que la marche à franchir pour atteindre 66 % de parts de marché en 2030 – condition sine qua non pour respecter l’échéance européenne de 2035 – devient chaque année plus abrupte.
« Leasing social » et éco-score : un ciblage chirurgical
Face à ce défi de volume, la réponse française se distingue par une approche qualitative visant à concilier pouvoir d’achat et souveraineté industrielle. L’examen des données de 2024 valide la pertinence du « leasing social » et de l’éco-score, deux dispositifs conçus pour orienter la demande vers des véhicules produits avec une faible empreinte carbone.
Immatriculations attribuables au leasing social parmi les immatriculations mensuelles de véhicules électriques neufs par les ménages. (Crédits : Direction générale des entreprises)
Le leasing social a permis de financer 47 000 dossiers, rendant la mobilité électrique accessible aux ménages modestes. Loin d’être une subvention aveugle, il a massivement profité à la production continentale : les modèles les plus plébiscités ont été la Peugeot 208 (12 000 unités), la Renault Mégane (6 000 unités) ou encore la Peugeot 2008.
Modèles de véhicules électriques les plus vendus aux ménages. (Crédits : Direction générale des entreprises)
Couplé à la réforme du bonus écologique, désormais conditionné à un score environnemental strict, ce mécanisme a eu un effet sur la structure du marché, avec un recul net des parts de marché des véhicules assemblés hors de l’Union européenne. La DGE estime que 20 % de la baisse est directement imputable au leasing social, tandis que 40 % de la baisse s’explique par l’effet prix du recentrage des aides. Pour la France, qui plaide à Bruxelles pour l’instauration d’un contenu local européen minimal, ces chiffres constituent une preuve factuelle que la régulation peut orienter efficacement les choix des consommateurs sans arrêter la demande.
Le réveil imposé des flottes d’entreprises
L’autre enseignement majeur de cette fin d’année 2025 concerne le marché des entreprises. Longtemps à la traîne, ce segment qui représente la moitié des immatriculations neuves opère enfin sa mutation sous la contrainte réglementaire. Alors qu’en 2024, les entreprises n’électrifiaient que 12 % de leurs achats de véhicules particuliers, loin derrière les efforts des ménages, la tendance s’est brutalement inversée.
L’activation de leviers fiscaux puissants, notamment la nouvelle taxe au verdissement et la révision des avantages en nature, a porté ses fruits. Les derniers relevés de juin 2025 montrent un bond de la part de l’électrique dans les flottes d’entreprise, qui atteint désormais 18 % pour les véhicules particuliers.
Évolution de la part de marché de l’électrique dans les achats de véhicules des entreprises entre 2019 et 2024. (Crédits : Direction générale des entreprises)
Même le segment des véhicules utilitaires légers (VUL), traditionnellement plus réfractaire à l’électrification en raison de contraintes d’usage et d’une offre plus restreinte, commence à frémir. Sa part de marché électrique s’élève à 9 % en juin 2025.
Alors que Bruxelles envisage d’assouplir les règles pour cette catégorie spécifique de véhicules, l’exemple français suggère qu’avant de baisser les bras sur les objectifs, une fiscalité incitative bien calibrée peut débloquer des segments de marché jugés difficiles.
Au moment où la Commission européenne doit abattre ses cartes, la « recette » française démontre qu’il est possible de piloter la demande vers une production locale et vertueuse. La question qui demeure en suspens n’est plus celle de l’efficacité technique de ces outils, mais celle de leur soutenabilité budgétaire s’ils devaient être généralisés à l’échelle du continent.