La Commission européenne pourrait délivrer des autorisations à vie pour les pesticides dans l’UE. Des milliers de médecins, soignants et scientifiques alertent sur un retour en arrière qui mettrait en danger la santé de millions de consommateurs et les écosystèmes.

Cette nouvelle législation européenne sur les pesticides, appelée directives « omnibus », vise, selon la Commission européenne, à « simplifier » le Pacte Vert de l’UE sur la transition durable. Ses détracteurs y voient eux un affaiblissement.

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Dans ces directives, la Commission propose notamment de simplifier la mise sur le marché des pesticides, en leur donnant une autorisation à vie et non plus renouvelable tous les dix à quinze ans, quand bien même la science ferait par la suite de nouvelles découvertes sur la nocivité de ces produits.

On a une augmentation de 80% de cancers sur les 25-35 ans et on ne sait pas du tout l’expliquer

Elise Bordet, ingénieure agronome et chercheuse en immunologie à Paris

Ce point provoque beaucoup de colère dans le monde scientifique et médical. En France, près de 2300 médecins et scientifiques ont interpellé les parlementaires et le Gouvernement. « Ça n’a aucun sens de déréguler pour toujours des molécules dangereuses », tonne dans La Matinale Elise Bordet, ingénieure agronome et chercheuse en immunologie à  Paris.

Elle a du mal à retenir sa colère: « Je rappelle que ce sont des molécules faites pour tuer le vivant. Tout le cycle de l’eau est déjà contaminé par les pesticides ». Et de citer l’exemple du glyphosate: « Une des études majeures pour défendre le glyphosate en disant que ce n’était pas dangereux a dû être retirée la semaine dernière, 25 ans plus tard, parce que Monsanto avait payé le journal pour la faire publier ».

Potentiel cancérogène

Cette frustration des scientifiques s’explique aussi par le fait que la recherche met toujours plus en lumière les dangers de ces substances pour l’humain comme pour la nature. Leur potentiel cancérogène est notamment de plus en plus mis en lumière.

« On a une augmentation de 80% de cancers sur les 25-35 ans et on ne sait pas du tout l’expliquer. C’est irresponsable, c’est horrible. On a des jeunes de 25 ans qui meurent de cancer de l’intestin. Avant, ça n’existait pas. Le cancer, normalement, est une maladie qui devrait se développer qu’à partir de 60 ans, dans un environnement sain. On est en train de vivre un délire. »

« Volte-face à 180 degrés »

En Suisse, ce projet de réforme est également mal perçu par la communauté scientifique. « C’est pour moi une volte-face à 180 degrés. Il y a encore deux ou trois ans, l’Union européenne a très clairement fait part de son intention d’un monde sans substances chimiques toxiques pour la santé et l’environnement. Et là, on fait une volte-face complet sous l’égide de l’économie », regrette Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne.

La chercheuse estime que la Suisse fait aussi preuve d’une certain laxisme. Trois produits phytosanitaires sont notamment exclus de la révision de l’ordonnance sur la protection des eaux par le Conseil fédéral, rappelle Nathalie Chèvre. « Ces trois produits sont particulièrement problématiques, notamment la deltaméthrine. Si on fixait une norme, on devrait certainement l’interdire. »

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Applicable à la Suisse?

La Suisse pourrait aussi adopter cette nouvelle réglementation européenne si elle était validée, selon Nicolas Schenk, collaborateur scientifique, spécialisé dans le droit de produits phytosanitaires à l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV), chargé de l’autorisation des pesticides.

En cas d’accord avec l’UE, ce qui ressortirait de ce projet omnibus serait aussi applicable à la Suisse

Nicolas Schenk, collaborateur scientifique à l’OSAV

« C’est très difficile à l’heure actuelle de se prononcer sur les conséquences que ça pourrait avoir pour la Suisse, parce qu’ils en sont tout au début du projet. Mais dans le cadre de l’accord qu’on a négocié avec l’Union européenne, qui va passer maintenant à la phase parlementaire, la Suisse obtiendrait exactement le même statut qu’un Etat membre. Ce qui ressortirait de ce projet omnibus serait aussi applicable à la Suisse », détaille Nicolas Schenk.

« Mais il faut savoir que les Etats membres auront toujours la possibilité de restreindre, voire d’interdire, certains produits phytosanitaires s’ils estiment qu’ils peuvent avoir des effets néfastes, notamment sur l’environnement ou la protection des eaux. »

Après sa publication par la Commission européenne, cette réforme de la réglementation des pesticides doit encore être acceptée par le Parlement européen et les Etats membres.

Foued Boukari/asch