Du scandale mondain à l’icône du Metropolitan Museum, Madame X, l’œuvre qui avait scandalisé Paris, revient un siècle plus tard dans la capitale.

Depuis le 23 septembre 2025 et jusqu’au 11 janvier 2026, le musée d’Orsay présente une rétrospective majeure dédiée à John Singer Sargent (1856 – 1925), en collaboration avec le Metropolitan Museum of Art de New York. Intitulée Éblouir Paris, l’exposition rend hommage à ce portraitiste de génie, l’un des plus grands noms de la Belle Époque (1871 – 1914), dont la renommée demeure pourtant encore relativement méconnue du public français. Au cœur du parcours, une toile attire tous les regards : le Portrait de Madame X. Cette œuvre a bouleversé son époque en raison de son audace, incarnée par un simple mais décisif détail : une bretelle de robe qui semble avoir glissé.

De Virginie Gautreau à Madame X

La mystérieuse Madame X n’était autre que Virginie Gautreau, une élégante jeune femme originaire de Louisiane, installée à Paris. Membre influente de la haute société parisienne, elle était l’épouse du banquier Pierre Louis Gautreau. Sa beauté singulière et son sens du style lui valurent une grande renommée dans les salons mondains de la capitale. Dans un portrait réalisé en 1884, le peintre américain la représente debout, de profil, le cou étiré avec une élégance presque sculpturale, le teint si clair qu’il semble lumineux, drapée dans une robe de satin noir qui oscille entre dévoilement et retenue, sur un fond sombre qui exalte sa silhouette. Ultime détail : la bretelle de sa robe était abaissée, exposant son épaule dénudée.


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La pose, à la fois raide et assurée exprime une confiance inhabituelle pour une femme de son rang, d’autant qu’elle ne regarde pas le spectateur directement, comme si elle lui échappait. «Dans ce portrait, on voit une femme dont la posture à elle seule est très expressive. C’est une pose droite, rayonnante de confiance et, bien sûr, de sensualité, même si son regard n’est pas direct. C’était déjà une source de critiques, surtout lorsque le modèle est une femme de haut rang social et, de surcroît, mariée», explique Laura Delgado Cebrián, historienne de l’art et commentatrice culturelle sur les réseaux sociaux, à S Moda.

John Singer Sargent (Américain, 1856–1925), Madame X (Madame Pierre Gautreau), 1883–1884, huile sur toile, 243,2 x 143,8 cm (95,7 x 56,6 po), Metropolitan Museum of Art. (1883–84)
Fine Art / Corbis via Getty Images

En effet, l’œuvre, présentée au Salon de Paris de 1884, provoqua un déferlement de critiques en raison de son audace, notamment due à la bretelle tombée de son épaule. «À une époque de nationalisme croissant à Paris, on reprocha à cette Américaine, perçue comme une intruse, d’avoir utilisé son physique et sa richesse pour infiltrer la société et accéder à la célébrité. Certains critiques accusèrent Sargent d’avoir créé un portrait peu flatteur, mais celui-ci maintient qu’il l’avait peinte «telle qu’elle était habillée». Nous savons qu’elle était complice de tous les aspects du portrait et qu’elle le qualifia initialement de chef-d’œuvre» expliquait Stephanie L. Herdrich, commissaire d’exposition au Met pour Vogue  en septembre 2025. Mais le scandale ruine sa réputation et celle de Sargent en France, si bien que le nom de Virginie s’efface du titre, pour être remplacé par une appellation aussi vague que mystérieuse : Madame X.

Un scandale devenu joyau

Le tollé pousse Sargent à retoucher son portrait quelque temps plus tard afin de relever la bretelle incriminée. En vain : la polémique persiste, l’exilant à Londres en 1886, où il reconstruira une brillante carrière auprès des élites britanniques et américaines. Pendant plus de trente ans, il conserve le tableau dans son atelier londonien, avant de finalement accepter de le céder au Metropolitan Museum of Art en 1916, à la condition que l’identité de son modèle demeure dissimulée derrière ce simple «X», comme pour tenir à distance un souvenir encore douloureux. Ironie de l’histoire, l’œuvre autrefois honnie est aujourd’hui considérée comme l’un des sommets de l’art de Sargent lui valant même le statut de Joconde du Met.