“Tournant imprévu” pour le futur de la conduite, “marche arrière” de l’Europe en matière environnementale, “panne” d’ambition à Bruxelles : la presse internationale filait la métaphore automobile, mardi, après la décision de la Commission européenne de renoncer à imposer aux constructeurs de véhicules de passer au tout-électrique à partir de 2035.
“La Commission européenne a fini par céder aux pressions du secteur automobile”, revoyant à la baisse “la proposition phare de l’Union européenne (UE) en matière de réduction des émissions de carbone”, observe El País.
L’exécutif européen a annoncé “un assouplissement des règles, supprimant de fait l’objectif strict précédent –selon lequel toutes les nouvelles ventes devaient concerner des véhicules à zéro émission – et permettant la vente de véhicules hybrides rechargeables, de véhicules hybrides et même de véhicules à moteur thermique au-delà de 2035”, explique Radio Canada.
“En pratique, 90 % des véhicules seront électriques” en 2035, a déclaré le commissaire européen au climat, Wopke Hoekstra, lors d’une conférence de presse à Strasbourg. “Pour les 10 % restants, nous autorisons une certaine flexibilité”.
“Bataille féroce”
“La proposition, qui doit encore être approuvée par les États membres et le Parlement européen, prévoit que les constructeurs automobiles pourront compenser ces 10 % en utilisant des carburants renouvelables durables ou de l’acier à faibles émissions produit en Europe”, précise la radio canadienne.
“Cette approche est conforme aux souhaits des constructeurs et de nombreux États membres, à commencer par l’Italie”, observe Il Corriere della Sera.
De fait, “la bataille a été féroce, non seulement au sein de la Commission européenne, mais aussi entre les États membres”, confirme El País. “L’Allemagne, l’Italie, la Pologne et d’autres pays ont plaidé pour un assouplissement de l’interdiction des voitures à moteur thermique”, “l’Espagne s’y est opposée” et “la France a insisté sur la nécessité de mesures visant à stimuler la production de véhicules européens”.
Cette décision intervient après que Bruxelles “a subi des pressions de la part de grands groupes européens du secteur qui, malgré des investissements de plusieurs milliards dans la transition, ne constatent pas dans leurs résultats la demande anticipée”, note Público.
“Face à cette réalité – un marché encore réticent à l’électrification totale, conjugué aux droits de douane américains, aux perturbations des chaînes d’approvisionnement et à la concurrence féroce de la Chine –, la réduction de l’objectif a été bien accueillie par la plupart des constructeurs”, ajoute le quotidien portugais.
Contraste entre l’Occident et la Chine
La marche arrière européenne “est le dernier signe en date d’une grande économie revoyant à la baisse ses ambitions en matière de véhicules électriques, la transition vers des voitures non polluantes s’avérant plus difficile que ne l’avaient prévu de nombreux décideurs politiques”, analyse The Wall Street Journal.
“Elle intervient au moment où l’UE cherche à améliorer sa compétitivité et à assouplir certaines réglementations que les entreprises jugent contraignantes”, ajoute le titre économique.
De fait, l’annonce européenne intervient au lendemain de celle de Ford, qui prévoit de “réduire ses plans de production de véhicules électriques, rejoignant ainsi une longue liste de constructeurs automobiles américains et européens qui revoient leurs stratégies climatiques”, renchérit The Washington Post.
“Ces reculs, pris dans leur ensemble, montrent que la transition vers le tout-électrique est beaucoup moins certaine qu’il n’y paraissait il y a quelques années, et que les voitures et les camions polluants pourraient rester en circulation sur les routes d’Europe et d’Amérique pendant des décennies”, poursuit le quotidien.
“Ces décisions accentuent également le contraste entre l’Occident et la Chine, qui a développé un marché des véhicules électriques massif et lucratif, alimenté par des constructeurs automobiles soutenus par l’État”, souligne le quotidien.
Cadeau à la Chine
Mais si les constructeurs automobiles, l’Italie et l’Allemagne et leurs alliés ne cachent pas leur satisfaction, “les groupes de défense de l’environnement craignent que ces changements ne créent de nouvelles échappatoires susceptibles de compromettre les ambitions climatiques de l’Europe, et ne laissent les principaux constructeurs automobiles encore plus à la traîne par rapport à la Chine dans la course aux véhicules électriques”, remarque Bloomberg.
Chris Heron, secrétaire général de l’association professionnelle E-Mobility Europe, déclare dans les colonnes du Guardian que c’est “le mauvais moment pour l’Europe de se tirer une balle dans le pied”, ajoutant que la seule façon pour l’industrie européenne de rester compétitive est de renforcer sa politique, et non de “s’écarter de la voie tracée”.
Un avis partagé par Martin Kaiser, directeur exécutif de Greenpeace Allemagne, qui qualifie ce plan de “cadeau de Noël avant l’heure pour les constructeurs chinois de voitures électriques”.