Une victoire, indiscutable et tellement évidente qu’elle avait été annoncée urbi et orbi bien avant que la Commission européenne ne la consacre. L’Allemagne l’a emporté sur toute la ligne et obtenu ce qu’elle exigeait pour satisfaire les intérêts de ses constructeurs. Pourtant, il n’est pas dit que ce lobbying mené à la hussarde et dans un contexte politique très favorable soit, sur le long terme, forcément bénéfique à Mercedes, BMW et Volkswagen.

En abaissant à 90 % la réduction des émissions de CO2 des voitures particulières neuves à l’horizon 2035, le chancelier Merz a obtenu bien plus qu’un sursis pour les véhicules à moteur thermique dont on sait la valeur symbolique outre-Rhin. Avec l’appui de l’Italie et du bloc des pays d’Europe de l’est, il a fait sauter le verrou qui instaurait le tout-électrique dans un délai de dix ans. Une décision aux allures de capitulation en rase campagne pour l’Europe qui change la perspective – après 2035 il sera encore possible de vendre des hybrides rechargeables et envisageable de faire le plein d’une Porsche 911 avec un carburant de synthèse – et doit permettre aux constructeurs allemands de ne plus avancer avec l’épée dans les reins.

Les malheurs de Porsche

Jusqu’au Dieselgate (2015), les constructeurs allemands ne sont que ponctuellement intéressés à la voiture électrique. Hormis Volkswagen, le plus exposé au scandale, ils s’y sont convertis qu’à reculons. BMW et Mercedes ont très tardivement décidé de concevoir une plate-forme spécifique pour cette motorisation étrangère à leur culture et qui les place presque sur un pied d’égalité avec les constructeurs généralistes. La politique protectionniste des Etats-Unis, les sanctions contre la Russie – où l’on a toujours aimé le premium germanique – n’ont rien arrangé. Gènée sur le marché européen qui boude l’électrique de haut de gamme (pour le malheur de Porsche) et en déroute sur le marché chinois, l’automobile allemande a exercé une énorme pression pour désamorcer les objectifs adoptés par Bruxelles en 2022.

L’aggiornamento de Bruxelles signifie que les marques allemandes seront moins contraintes de vendre des voitures électriques en Europe. Et c’est bien là le problème. Les constructeurs seront conduits à produire moins de véhicules et à moins investir pour cette motorisation puisqu’il faudra, en parallèle, davantage consacrer de ressources pourdévelopper l’hybride – un virage que les trois constructeurs ont, pour l’essentiel, manqué. Difficile dés lors de rattraper le retard déjà accumulé sur les chinois.

Un rouleau compresseur

Puisque l’objectif final, même s’il est décalé, demeure le passage au tout-électrique, le recul décidé par l’Europe renvoie à une forme de myopie stratégique. Ainsi, les européens vont consacrer la marge de manœuvre qu’ils ont obtenue non pas à muscler leur technologie en matière de voiture électrique mais à produire des modèles hybrides rechargeables à l’efficience problématique et qui ne sont pas tombés de la dernière pluie.  Pour l’Allemagne, serait-ce une victoire à la Pyrrhus ?

Les Français et les Espagnols qui fabriquent beaucoup d’électriques dans leurs usines et misent sur la production de batteries à grande échelle n’avaient pas envie que tombe le tabou de 2035. Ne pouvant faire obstacle au rouleau compresseur avec lequel ils tentaient de composer, ils espéraient néanmoins pouvoir obtenir l’instauration d’un « contenu local » de l’ordre de 75 % de la valeur ajoutée afin de contenir la pression économique des équipementiers chinois.

Changemens politiques

Ils ont obtenu un accord de principe mais ce dispositif, les constructeurs allemands ne veulent pas en entendre parler. En partie pour ne pas avoir à subir de mesures de rétorsion qui entraveraient un peu plus leur tentative de reconquête du marché automobile chinois. La décision sur cette question est repoussée de quelques semaines et, compte tenu du rapport de forces qui a prévalu sur le paquet du 16 décembre, la France et l’Espagne vont devoir se démener pour obtenir de la Commission les arbitrages qu’ils réclament.

La victoire de l’Allemagne devra être confirmée par un vote du parlement européen qui avait adopté la réglementation 2035 à une large majorité. Les équilibres ont changé et désormais, c’est le très droitier Parti Populaire Européen (PPE) qui dicte le tempo. La décision annoncée mardi 16 décembre par la Commission, exultait mardi son président Manfred Weber, « signifie que toutes les motorisations sont autorisées après 2023 ». Autant dire que l’affaire n’est pas trop mal engagée.

Le raidissement de la politique européenne en matière d’environnement s’inscrit dans le sillage de récentes décisions (réglementation des pesticides, déforestation….) de la Commission allant dans le sens d’un détricotage du Pacte Vert lancé lors du précédent mandat d’Ursula Von der Leyen. L’allègement des normes imposées à l’automobile s’inscrit elle-aussi dans cet air du temps. Aux Etats-Unis, Donald Trump vient d’annoncer un allègement considérable des normes d’émission de CO2 qui s’appliquaient aux constructeurs.