Depuis des décennies, les manuels scolaires présentent Uranus et Neptune comme des « géantes de glace », des mondes lointains où l’eau, le méthane et l’ammoniac règnent en maîtres. Pourtant, une étude publiée en décembre dans Astronomy & Astrophysics par l’Université de Zurich vient bouleverser cette classification établie. Et si ces planètes étaient en réalité beaucoup plus rocheuses que glacées ? La découverte ne remet pas seulement en cause notre compréhension de deux planètes — elle interroge la manière dont se forment les systèmes planétaires dans l’univers.

Une classification trop simple pour des planètes mal comprises

Pendant longtemps, les astronomes ont divisé les planètes du système solaire en trois catégories bien distinctes. Les quatre planètes rocheuses du système interne — Mercure, Vénus, la Terre et Mars — composées essentiellement de silicates et de métaux. Puis, au-delà de la ligne de glace où les températures permettent la solidification des composés volatils, les géantes gazeuses Jupiter et Saturne, majoritairement faites d’hydrogène et d’hélium. Enfin, tout au bout du système, Uranus et Neptune, baptisées « géantes de glace » en raison de leur richesse présumée en eau, méthane et ammoniac.

Cette vision ordonnée du système solaire présente un problème majeur : elle repose sur des hypothèses fragiles. Uranus et Neptune demeurent les planètes les moins bien connues de notre voisinage cosmique. Une seule mission, Voyager 2, les a survolées brièvement en 1986 et 1989. Depuis, aucun vaisseau spatial n’est retourné les étudier de près. Les modèles de leur structure interne ont donc été construits avec des données limitées et des postulats qui n’ont jamais été véritablement testés.

Des simulations qui changent la donne

Luca Morf, doctorant à l’Université de Zurich, et la professeure Ravit Helled ont développé une approche radicalement différente pour modéliser l’intérieur de ces planètes. Plutôt que de partir du principe qu’elles sont riches en glace, leur méthode reste « agnostique » — c’est-à-dire qu’elle n’impose aucune composition préalable. Ils ont généré des milliers de profils de densité aléatoires pour l’intérieur planétaire, puis calculé les champs gravitationnels résultants. Seuls les modèles cohérents avec les observations réelles de Voyager 2 ont été conservés.

Le résultat est stupéfiant. Les compositions internes qui correspondent le mieux aux données observationnelles ne sont pas dominées par la glace, mais pourraient au contraire être principalement rocheuses. Selon les analyses, Uranus pourrait avoir un rapport roche-eau presque dix fois supérieur à celui de Neptune, suggérant une diversité inattendue entre ces deux planètes souvent considérées comme jumelles.

Cette découverte s’aligne avec d’autres indices troublants. Les observations du télescope spatial Hubble et de la mission New Horizons indiquent que Pluton, un objet de la ceinture de Kuiper situé au-delà de Neptune, est composé à environ 70% de roches et de métaux. Si les briques élémentaires qui ont formé Uranus et Neptune provenaient de cette région lointaine, il serait logique qu’elles soient elles aussi beaucoup plus rocheuses que prévu.

Uranus nEPTUNECrédit : Institut Keck d’études spatiales/Chuck CarterSelon les hypothèses du modèle, Uranus pourrait être une géante de glace (à gauche) ou une géante rocheuse (à droite).Des champs magnétiques qui n’ont jamais eu de sens

L’un des mystères les plus tenaces d’Uranus et Neptune concerne leurs champs magnétiques absolument déroutants. Sur Terre, le champ magnétique est dipolaire — il possède un pôle Nord et un pôle Sud clairement définis, générés par la rotation du noyau de fer liquide. Uranus et Neptune, elles, affichent des champs magnétiques chaotiques avec plus de deux pôles, fortement inclinés par rapport à leur axe de rotation.

Les nouveaux modèles proposent une explication séduisante. Si ces planètes contiennent des couches d’eau ionique situées à différentes profondeurs, ces régions pourraient générer des dynamos magnétiques indépendantes. L’équipe a découvert que le champ magnétique d’Uranus prendrait naissance plus profondément que celui de Neptune, ce qui pourrait expliquer leurs différences observées. Cette hypothèse, suggérée il y a près de quinze ans par Ravit Helled, trouve enfin un cadre numérique pour être testée.

Un problème de données, pas de modèles

L’incertitude demeure importante. Les physiciens comprennent encore mal comment les matériaux se comportent sous les pressions et températures extrêmes qui règnent au cœur de ces planètes — plusieurs millions de fois la pression atmosphérique terrestre. Les modèles actuels restent donc incomplets, quelle que soit leur sophistication.

Comme le conclut Ravit Helled : « Uranus et Neptune pourraient être des géantes rocheuses ou des géantes de glace, selon les hypothèses du modèle. Les données actuelles sont insuffisantes pour trancher, et nous avons donc besoin de missions dédiées à Uranus et Neptune pour révéler leur véritable nature.« 

Plusieurs projets sont en cours de planification. La NASA étudie la possibilité d’envoyer un orbiteur vers Uranus dans les prochaines décennies, tandis que la Chine prépare la mission Tianwen-4. Ces futures explorations ne se contenteront pas de photographier ces mondes bleutés de loin — elles sonderont leurs profondeurs, mesureront leurs compositions atmosphériques avec précision, et tenteront de percer les secrets que Voyager 2 n’a pu qu’effleurer.

En attendant, cette étude rappelle une vérité fondamentale de la science : même dans notre propre système solaire, là où l’on croyait tout connaître, les surprises restent possibles. Uranus et Neptune ne sont peut-être pas les géantes de glace que nous pensions. Elles sont peut-être des géantes rocheuses déguisées — et cela change tout.