Avec plus de 20 millions d’exemplaires vendus (dont 5 millions supplémentaires depuis un an), Baldur’s Gate 3 a changé les perspectives de Larian. Le studio belge dispose désormais de moyens considérables, mais aussi d’une responsabilité accrue : celle de ne pas décevoir un public bien plus large que celui qu’il avait conquis avec ses productions précédentes. Nous savons déjà beaucoup de choses sur Divinity (comme le fait qu’il sera bien au tour par tour, par exemple), mais dans une interview auprès de Bloomberg, le fondateur du studio Swen Vincke s’est permis une sortie largement reprise sur les réseaux sociaux depuis.
Sans détour ni circonvolutions inutiles, Vincke aborde l’utilisation de l’IA. L’homme ne la rejette pas entièrement, et Larian admet ainsi l’utiliser en interne pour explorer des idées (via powerpoint), préparer des supports de travail ou générer du contenu temporaire (notamment des textes façon Lorem Ipsum, ensuite réécrits par l’homme). En réalité, Vincke se veut catégorique : aucun contenu final de Divinity ne sera généré par IA et, qu’il s’agisse du scénario, des dialogues ou de la direction artistique, tout sera écrit, créé et joué par des humains. Cette utilisation a même généré des débats en interne, mais elle semble aujourd’hui acceptée par les équipes dans ce cadre clairement défini, selon Vincke. D’ailleurs, puisqu’on parle des équipes, celles de Larian dépassent désormais les 500 employés.
Agents très spéciaux : Code Vincke
Néanmoins, il n’a pas fallu longtemps pour que la toile extrapole cet emploi mineur de l’IA (pour faciliter la production, pas pour « remplacer » la charge de travail). Vincke, face à ces retours négatifs, s’est d’ailleurs permis une sortie supplémentaire sur X (ex-twitter) pour mettre les choses au clair : « Bon sang les gars, nous ne sommes absolument pas en train de « pousser à fond » l’IA ni de remplacer les concept artists par de l’IA. Nous avons une équipe de 72 artistes, dont 23 concept artists, et nous continuons d’en recruter. L’art qu’ils créent est original, et je suis extrêmement fier de leur travail. On m’a posé une question très précise sur le concept art et notre utilisation de l’IA générative. J’ai répondu que nous l’utilisons pour explorer des idées. Je n’ai jamais dit que nous l’utilisions pour produire du concept art. Ce sont les artistes qui le font – et ce sont des artistes de tout premier plan. Nous utilisons des outils d’IA pour explorer des références, exactement comme nous utilisons Google ou des livres d’art. Aux toutes premières étapes d’idéation, nous nous en servons comme d’une ébauche très grossière de composition, qui est ensuite remplacée par du concept art original. Il n’y a aucune comparaison possible ».
Holy fuck guys we’re not « pushing hard » for or replacing concept artists with AI.
We have a team of 72 artists of which 23 are concept artists and we are hiring more. The art they create is original and I’m very proud of what they do.
I was asked explicitly about concept art…
— Swen Vincke @where? (@LarAtLarian) December 16, 2025
Comme souvent, la polémique n’a pas réellement lieu d’être : il s’agirait de comprendre la différence entre l’emploi abusif de l’IA (c’est à dire celle qui remplace le travail créatif d’employés, parfois mis de côté en conséquence) et son utilisation parcimonieuse dans un processus de facilitation des étapes de travail habituelles. D’autant que Vincke l’annonce clairement : « le processus créatif en tant que tel ne peut pas être accéléré », même avec l’IA. D’ailleurs, Larian aurait pu garder ces mécaniques internes secrètes, mais a fait le choix de la transparence (ce qui lui a finalement coûté, comme quoi).
Neil Newbon (acteur et doubleur) n’aime pas l’IA et le fait savoir
En parallèle, l’acteur Neil Newbon (qui incarne Astarion dans Baldur’s Gate 3) y est allé de son mot à propos de l’IA récemment : dans une interview accordée à PCGamesN, il dit tout le mal qu’il en pense, du moins en guise de remplacement du travail de doubleur. Ainsi, utiliser une voix clonée sans enregistrer une performance originale, c’est priver un acteur non seulement d’un revenu, mais aussi de la possibilité de faire son métier. Et pour Newbon, aucune pirouette technologique ne permet de rendre cela acceptable. Pour lui, l’argument du budget n’est pas recevable non plus : « comparativement parlant, le montant que coûte l’enregistrement de ces lignes de dialogue par rapport au reste du développement d’un jeu, c’est des cacahuètes », commence-t-il. Puis il poursuit : « quand un jeu est un succès, je ne comprends pas pourquoi les développeurs ne se disent pas : « à l’époque on ne pouvait pas se le permettre, c’était trop compliqué, mais maintenant qu’on a très bien marché, pourquoi ne pas revenir en arrière et refaire ces lignes avec des acteurs ? » C’est une option. Je dis juste que c’est possible ». Sa position sur l’utilisation de l’IA générative est globalement sans appel : « l’autre problème, c’est que ça sonne chiant » lâche-t-il avant de poursuivre, « j’ai entendu de la voix générée par IA : c’est d’un ennui mortel. Je n’y crois pas. Ça me sort complètement de l’immersion ». Difficile de lui donner tort, non ?
Ainsi, si la méfiance vis à vis de l’utilisation de l’IA est globalement légitime et mérite des interrogations, il s’agirait néanmoins de ne pas voir le mal partout : l’IA est un outil. Abusé par certains (pour ne pas dire beaucoup), certes. Mais utilisée comme tel, et non pas en moyen de faire baisser les budgets à tout prix pour supprimer de la main d’oeuvre (comme le mentionne très bien Newbon), son emploi apparaît cohérent et réaliste : difficile dès lors de comprendre le courroux abattu sur une équipe qui a déjà montré toute sa bonne volonté par le passé. Reste simplement à espérer que Larian ne s’engage pas dans une pente glissante (« puisque l’IA ça marche ici, pourquoi ne pas l’utiliser là aussi ? Et là, et là et là ? »).