Le modèle cosmologique standard continue de tenir bon depuis qu’il a été solidement établi au début des années 2010 grâce à l’avènement de la cosmologie de précision, notamment avec les résultats des analyses du rayonnement fossile du Big Bang, rendues possibles par la mission Planck.

Toutefois, le mystère plane toujours sur deux éléments constitutifs de ce modèle, la matière noire et l’énergie noire. Pour tenter d’y voir plus clair, il faut combiner des progrès dans la précision et le volume des données astrophysiques ayant des implications pour la cosmologie avec le raffinement et la montée en puissance des simulations numériques qui font apparaître les galaxies, puis les grandes structures qui les rassemblent au cours des 13,8 milliards d’années de l’existence et de l’évolution du cosmos observable.

Depuis 13,8 milliards d’années, l’Univers n’a cessé d’évoluer. Contrairement à ce que nous disent nos yeux lorsque l’on contemple le ciel, ce qui le compose est loin d’être statique. Les physiciens disposent des observations à différents âges de l’Univers et réalisent des simulations dans lesquelles ils rejouent sa formation et son évolution. Il semblerait que la matière noire ait joué un grand rôle depuis le début de l’Univers jusqu’à la formation des grandes structures observées aujourd’hui. © CEA

Un univers sculpté par l’énergie et la matière noire

Si l’on sait que l’effondrement gravitationnel des surdensités de matière noire produites par le Big Bang a servi de germe à la formation rapide des galaxies, on sait aussi que les champs de gravitation de ces surdensités ont concentré l’effondrement du gaz des galaxies en structures filamenteuses entourant des vides cosmiques (voir la vidéo ci-dessus). Ces structures, grossièrement en forme de bulles, peuvent atteindre plusieurs centaines de millions d’années-lumière de diamètre et sont bien plus pauvres en galaxies et nuages de matière (qu’il s’agisse de particules de matière noire encore inconnues et relevant d’une nouvelle physique qui l’est tout autant ou de matière baryonique standard).

L’évolution de ces bulles doit donc être dominée par l’énergie noire qui accélère l’expansion du cosmos et tend donc à s’opposer également à des concentrations de galaxies et d’amas de galaxies. On ne sera donc pas étonné d’apprendre que l’étude fine de cette évolution peut nous aider à départager les différentes théories qui peuvent expliquer la nature de l’énergie noire et même de la matière noire.

Prévu pour être lancé au milieu des années 2020, le télescope spatial Nancy Grace Roman, anciennement connu sous le nom de WFIRST, fonctionnera comme le cousin aux yeux écarquillés de Hubble. Bien qu’il soit tout aussi sensible que les caméras de Hubble, l’instrument à grand champ de 300 mégapixels du télescope permettra d’imager une zone du ciel 100 fois plus grande. Cela signifie qu’une seule image du télescope spatial contiendra l’équivalent de 100 images de Hubble. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © NASA Goddard

Le télescope spatial Nancy Grace Roman

La Nasa ne s’y est pas trompée et c’est pour cette raison qu’elle a entrepris il y a des années la construction d’un nouveau télescope spatial qui sera capable de produire des images de la même qualité que celles du télescope Hubble, mais 100 fois plus grandes. Cependant, les observations seront faites dans l’infrarouge.

Tout récemment, un communiqué de la Nasa fait justement état de l’observation prévue de ces bulles cosmiques avec le télescope spatial Nancy Grace Roman. Il accompagne une publication sur The Astrophysical Journal que l’on peut lire également en accès libre sur arXiv.

Le Nancy Grace Roman (en anglais Nancy Grace Roman Space Telescope), anciennement nommé Wide Field Infrared Survey Telescope (WFIRST), doit être lancé en 2027 et placé en orbite autour du point de Lagrange L2 du système Terre-Soleil.

Son nom définitif rend hommage à Nancy Grace Roman, la première femme à exercer des fonctions de direction au sein de la Nasa et qui, à la fin des années 1950, était l’une des seules à croire en l’observation astronomique depuis l’espace. On lui doit notamment le satellite CoBE (Cosmic Background Explorer), le précurseur du satellite Planck pour l’étude du rayonnement fossile et le télescope spatial Hubble. Elle s’est éteinte en décembre 2018 à l’âge de 93 ans.

En tant que première cheffe du département d’astronomie de la Nasa, la regrettée Nancy Grace Roman a ouvert la voie aux télescopes spatiaux et aux femmes dans les sciences. On lui attribue la réalisation du télescope spatial Hubble de la Nasa. Le télescope spatial Nancy Grace Roman, un télescope d’étude à grand champ révolutionnaire nommé en son honneur, sera lancé d’ici mai 2027 et élargira considérablement notre vision de l’Univers. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Space Telescope Science Institute

Des tests des théories de la gravitation et de l’énergie noire

Mais revenons au contenu du communiqué de la Nasa concernant les vides cosmiques et le Nancy Grace Roman. Giovanni Verza, du Flatiron Institute et de l’Université de New York, auteur principal de l’article publié dans The Astrophysical Journal, explique que « la capacité de Roman à observer de vastes zones du ciel à de grandes profondeurs, et à repérer une multitude de galaxies faibles et lointaines, va révolutionner l’étude des vides cosmiques ».

Sa collègue Alice Pisani, co-auteure de l’étude et directrice de recherche au Centre de physique des particules de Marseille (CPPM) en France, ajoute que « comme ils sont relativement dépourvus de matière, les vides cosmiques sont des régions de l’espace dominées par l’énergie sombre. En les étudiant, nous devrions pouvoir mieux comprendre la nature de cette énergie ».

Dans le cadre d’un programme d’observation des régions situées au-delà du plan de notre Galaxie (le Roman High-Latitude Wide-Area Survey), le télescope devrait permettre de détecter et de mesurer des dizaines de milliers de vides cosmiques, dont certains ne mesurent que 20 millions d’années-lumière de diamètre. On pourra alors utiliser des méthodes d’analyse statistique pour en tirer des informations sur l’astrophysique de ces vides et donc la physique qui les façonne, celle de l’énergie noire notamment.

Lauréate d’une bourse L’Oréal-UNESCO « Pour les Femmes et la Science » en 2016, Alice Pisani s’intéresse à l’énergie noire et aux vides cosmiques depuis des années. © Le Blob

Toujours dans le communiqué, la chercheuse, qui dirige le projet Cosmobest et qui est également en poste à l’université de Princeton dans le New Jersey (États-Unis), compare le programme mené avec le télescope à la tentative de déduire la composition d’un gâteau (c’est-à-dire la structure de l’Univers) à partir du dessert final. « On essaie d’y mettre les bons ingrédients – la bonne quantité de matière, la bonne quantité d’énergie sombre – et ensuite on vérifie si le gâteau a l’aspect escompté. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’on a utilisé les mauvais ingrédients. »

On pourra tester de cette façon notamment des modèles d’énergie noire, pour les réfuter ou non, mais aussi la théorie de la relativité générale. Il existe en effet des alternatives à la théorie relativiste de la gravitation d’Einstein.

On peut donner une idée de la méthode utilisée. Elle consiste à faire en quelque sorte la moyenne des formes des vides cosmiques. La théorie la plus simple dit que la forme obtenue doit avoir une forme qui sera d’autant plus parfaitement ronde que l’on mesure de nombreux vides. Des écarts à la sphéricité indiqueront par contre qu’il faut revoir la recette cosmique.

Cette séquence vidéo commentée illustre comment le télescope spatial Roman pourra observer les vides cosmiques de l’Univers. Ces mesures très précises contribueront à affiner les modèles cosmologiques. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Vidéo : Nasa, STScI ; Visualisation : Frank Summers (STScI) ; Scénario : Frank Summers (STScI) ; Narration : Frank Summers (STScI) ; Audio : Danielle Kirshenblat (STScI) ; Science : Giulia Degni (Université Roma Tre), Alice Pisani (CPPM), Giovanni Verza (Centre d’astrophysique computationnelle/Institut Flatiron)