L’histoire récente du rouble apparaît pour le moins tumultueuse. Jusqu’en 2014 et la première invasion russe de l’Ukraine, on échangeait 20 à 30 roubles pour un dollar. Après 2014, la monnaie avait diminué de moitié et un dollar valait environ 60 roubles. Durant les 8 années suivantes, le rouble a graduellement dégringolé avant de s’effondrer brutalement en mars 2022, après la seconde agression russe contre l’Ukraine et le déluge de sanctions internationales, rappelle le Kyiv Independent.

Épée à double tranchant

« Nombre des sanctions adoptées ont eu des effets contraires aux prévisions sur le rouble, indique un économiste russe témoignant anonymement. Suite au début de l’invasion à grande échelle, les mesures restrictives ont rendu difficile l’importation de marchandises en Russie : cela a diminué la demande de devises étrangères et, par conséquent, le rouble s’est renforcé. » Cela explique que, de façon contre-intuitive, le rouble a rapidement retrouvé sa valeur pré-invasion de mars 2022.

Toutefois, le rouble fort est une épée à double tranchant. Côté pile, il permet (théoriquement) aux consommateurs russes d’acheter des produits importés à faible coût, et limite l’inflation. Mais côté face, elle plombe les exportations, notamment de pétrole et de gaz, car plus la monnaie est forte, plus ces biens sont chers. Elle diminue aussi les taxes perçues par l’État russe, libellées en roubles, sur ces exportations d’énergies fossiles.

« Le taux directeur élevé de la Russie rend les investissements en roubles plus attractifs que ceux en devises étrangères (en raison d’une rentabilité plus élevée), explique le média russe économique en exil The Bell. Cela accroît la demande de roubles, ce qui fait grimper leur valeur. Mais il y a un an, le taux directeur était plus élevé qu’aujourd’hui, donc cela ne peut pas être la seule raison. »

Effet pervers des nouvelles sanctions

La surappréciation du rouble s’explique donc aussi par les efforts du gouvernement russe pour la maintenir à un niveau artificiellement haut. Au lendemain de l’invasion totale de l’Ukraine en février 2022, la Banque centrale russe a augmenté son taux directeur, qui est passsé de 9,5 % à 20 % en quelques jours. Cela a enrayé son effondrement engendré par l’agression contre Kyiv, et les multiples sanctions internationales contre Moscou qui en ont découlé.

« Paradoxalement, les principaux facteurs [du rouble fort] pourraient être les récentes sanctions imposées à la Russie, notamment celles visant Lukoil et Rosneft, poursuit l’économiste. Au lieu d’affaiblir le rouble en réduisant les recettes en devises étrangères issues de la vente de pétrole, ces sanctions pourraient l’avoir renforcé : en effet, les entreprises russes sanctionnées ont commencé à rapatrier en Russie les devises étrangères qu’elles détenaient à l’étranger. »