Dans l’est de l’Ukraine, Pokrovsk reste au cœur d’une bataille aussi violente que confuse. Alors que la Russie revendique sa prise depuis fin novembre, l’Ukraine affirme encore tenir une partie de la ville et les évaluations indépendantes et témoignages de soldats décrivent une réalité bien plus nuancée, où la conquête annoncée se heurte à une résistance coûteuse pour les deux camps.
Les évaluations les plus récentes de l’Institute for the Study of War (ISW) confirment que Pokrovsk ne peut pas être considérée comme entièrement contrôlée par la Russie. Le centre de recherche et d’analyse militaire américain indépendant décrit des combats actifs « dans et autour » de la ville, sur l’ensemble de ses axes d’approche: au nord, à l’est, au sud-ouest et à l’intérieur même de l’agglomération.
Selon l’ISW, les forces russes ont engagé des unités de réserve, notamment des régiments de la 76ᵉ division aéroportée (VDV), pour tenter d’accélérer la progression. Cet engagement s’est toutefois accompagné d’une augmentation d’environ 30% des pertes russes dans le secteur de Pokrovsk, en particulier lors des assauts vers Hryshyne, au nord-ouest de la ville. Une indication, pour les analystes, de la violence extrême des combats urbains et de la résistance ukrainienne.
Les drones et la zone de mort
Pour avancer dans Pokrovsk, il faut traverser ce que certains soldats ukrainiens appellent « la kill zone », une zone meurtrière ou chaque déplacement ennemi est repéré par des drones de surveillance qui sont déployés en tout temps.
« Dans les postes de commandement, vous avez des streams en ligne. Les commandants voient en temps réel ce qu’il se passe et tout ce qui bouge est ciblé. Si un char sort, tous les pilotes de drones se bousculent pour l’abattre », témoigne auprès de RFI Dmytro Kushnir, caporal au sein de la Rubizh Brigade de la garde nationale ukrainienne.
La ceinture fortifiée est avant tout une « kill zone ». Une ligne de front parfaitement transparente, sur dix kilomètres de profondeur, décrit Dmytro Kushnir, caporal au sein de la Rubizh Brigade de la garde nationale ukrainienne.
Une carte de l’ISW montre la situation à Pokrovsk le 16 décembre 2025. En rose, le territoire contrôlé par les forces Russes. En jaune les avancées revendiquées par Moscou.Pokrovsk-and-Myrnohrad-December-16-2025.webp [ISW]
Dans ces conditions, impossible d’avancer en nombre sous peine d’essuyer d’énormes pertes. Certains drones sont équipés de caméra de jour et d’autre de nuit. Les infiltrations sont donc le plus souvent possible uniquement lors de la rotation des engins de surveillance, poursuit le caporal, qui ajoute que les conditions météorologiques peuvent également avoir un impact. « La météo joue aussi son rôle. Il y a eu une période d’une dizaine de jours avec des brouillards extrêmement épais qui ont permis aux Russes d’avancer parce que les drones ne peuvent pas voir. La pluie ou les vents forts peuvent aussi avoir leur influence ».
Drapeaux plantés et guerre de communication
La semaine passée, des images diffusées par l’armée russe ont montré des soldats brandissant le drapeau russe à Pokrovsk. Pour Maurine Mercier, correspondante de la RTS en Ukraine, il s’agit avant tout de propagande, une pratique des plus courantes en temps de guerre.
Ighor, un soldat ukrainien blessé et interrogé dans La Matinale par la journaliste se demande ce que veut dire « prendre une ville »? Selon lui, la prise symbolique précède souvent de très loin la réalité militaire. « La réalité est que les Russes envoient des soldats, encore et encore, qu’ils meurent et que d’autres arrivent », explique-t-il, confirmant que les combats se poursuivent bel et bien.
>> Le reportage de Maurine Mercier dans La Matinale : Ukraine: à l’heure des négociations de paix, quelle est la situation sur le terrain? (vidéo) / La Matinale / 4 min. / lundi à 07:00
Entre les premières infiltrations, des avancées et une prise réelle d’une ville, il peut donc s’écouler des mois et des mois de combats effroyables, rappelle Maurine Mercier.
La correspondante souligne également que taire ou édulcorer la réalité du terrain répond à des objectifs politiques et psychologiques. La Russie met en scène ses avancées pour maintenir le soutien de sa population et peser diplomatiquement. L’Ukraine, de son côté, peut parfois présenter une situation plus optimiste que la réalité afin de préserver le moral de la population et des troupes.
Une ville vouée à tomber
Si les Russes n’ont donc pas encore réussi à s’emparer totalement de la ville, la situation dans la région de Pokrovsk-Myrnohrad demeure difficile pour les Ukrainiens. L’ISW maintient son estimation selon laquelle les forces russes parviendront très probablement à s’emparer de Pokrovsk et aussi de Myrnohrad (située un peu plus à l’est). Mais cela prendra plus de temps et entraînera de lourdes pertes.
Les soldats ukrainiens présents dans la zone comprennent également que , tôt ou tard, l’armée russe envahira totalement la ville, que l’Ukraine a donc déjà perdue. Pour Ighor, si Kiev continue de résister farouchement à Pokrovsk, c’est pour affaiblir l’armée russe et éliminer dans cette ville détruite le plus grand nombre de soldats ennemis.
Ighor résume: ces villes se transforment en boucherie mais le plan ukrainien fonctionne puisqu’ils ont « des pertes gigantesques ». Ces derniers jours, « plus d’un millier de pertes par jour ! Cela représente deux bataillons de soldats d’infanterie par jour. La proportion varie entre un Ukrainien qui tombe pour cinq, voire dix Russes tués », estime-t-il.
Et de décrire un « sol jonché de corps de soldats russes ». « Oui, c’est terrible… mais la guerre est effroyable. Et si vous ne les tuez pas, ils vous tuent, votre famille, votre pays. Et ils ne s’arrêteront pas », conclut-il.
Tristan Hertig