Nous sommes en Inde, dans une forêt tropicale du Kerala, et vivent, là, à l’abri sous un tronc d’arbre, sept grenouilles minuscules, la moitié de mon doigt : des Melanobatrachus indicus, espèce très rare et en danger, qu’on connait plutôt sous le nom de grenouille « galaxie », en raison des tâches blanches qu’elle a sur sa peau toute noire et qui font penser à des étoiles. Un chercheur raconte au Guardian qu’il les avaient repérées début 2020, juste avant le Covid. Mais quand il est retourné sur place, des mois après : plus personne. Grenouilles disparues. Le tronc déplacé, et tout cassé.

Renseignements pris il apprend que plusieurs petits groupes de photographes animaliers sont venus entre-temps et ont tout retourné, pire : ils ont pris les mini grenouilles dans leurs mains, sans gants, pour les mettre dans un endroit plus photogénique. Bilan, deux galaxies meurent directement, et les autres, donc, n’ont plus donné signe de vie.

Nouvel exemple de ce que peuvent faire certains photographes plus préoccupés par la bonne images que par le sort de la faune ou de la flore qu’ils mitraillent.

La photo animalière, un tourisme de masse

Parce qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé. Poussée par les concours, les réseaux sociaux, et la technologie, qui vend des appareils et téléobjectifs de compet’ aux amateurs, la photo naturaliste cartonne. Des naturalistes (des vrais) m’ont raconté avoir déjà vu 50 photographes agglutinés près d’un lac où des milliers de grues s’envolent le matin, ou encore en montagne cet homme posté avec son appareil juste à l’entrée d’un terrier de marmottes…

Certains parlent carrément de « tourisme de masse ». Voici d’ailleurs ce que m’a dit le photographe Vincent Munier, qu’on connait pour la Panthère des neiges et qui nous emmène depuis hier au cinéma dans les Vosges écouter « le Chant des forets ». « La photo animalière n’échappe pas au consumérisme et c’est horrible » Petit sentiment de culpabilité mêlé parce que lui, comme d’autres contribuent aussi, avec leur travail à donner envie de les imiter, et partir à l’affût… D’où la volonté profonde que les amateurs n’oublient pas qu’ils dérangent, avec des conséquences graves parfois.

La photo animalière ou l’art de la quête

Mais figurez-vous que les pros aussi trichent pour avoir le cliché parfait écrit cette fois le site Reporterre.net. Un exemple, utilisé par un gagnant du prestigieux Wildlife Photographer of the year, et plein d’autres : la location d’affuts tout confort dans le grand nord où on leur dépose des carcasses de cochon, du saumon ou même des croquettes pour attirer ours ou loups pile là où ils l’ont décidé et clac y’a plus qu’à.

Beaucoup rappellent que la photo animalière est avant tout l’art de la quête. Dites-vous qu’en 2015, pour immortaliser le plongeon d’un martin-pêcheur, le bec qui touche à peine l’eau, sans aucune éclaboussure, une oeuvre d’art, un Ecossais a eu besoin de 4 200 heures et 720 000 tentatives !