Alors qu’aucun restaurant ne proposait de cuisine tibétaine en 2015, six établissements concoctent aujourd’hui ses spécialités. Comment expliquer l’intérêt grandissant pour cette gastronomie ? Pour répondre à cette question, nous sommes allés à la rencontre d’un pionnier, le « créateur du premier restaurant tibétain » de Strasbourg.
En l’espace de 10 ans, la culture tibétaine a trouvé sa place dans le cœur des Alsacien(ne)s grâce à l’ouverture de plusieurs restaurants.
Le premier d’entre eux, Momo Tibétain (12 Grand’Rue), a ouvert la voie à ses successeurs. Ils sont aujourd’hui six établissements à proposer des spécialités de cette région d’Asie centrale, entourée des gigantesques sommets de l’Himalaya.
Dorjee Ringchen-Tsang. © Jules Scheuer / Pokaa
Dorjee Ringchen-Tsang, gérant du Momo Tibétain, nous a accueilli en fin de service dans son établissement pour nous parler de sa culture et de ses spécificités.
Une fois les portes franchies, la décoration plonge directement les visiteurs/ses dans l’ambiance. Dorjee a décoré avec goût son espace de travail, en rendant hommage à ses racines.
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De moine tibétain à restaurateur strasbourgeois
Le gérant a ouvert son établissement à Strasbourg en 2016. À cette époque, il est « le seul à proposer une cuisine tibétaine dans toute la ville ». Très vite, il rencontre du succès, ce qui lui permet d’ouvrir deux autres adresses : Tibet gourmand en 2019 et Tibetan Peace en 2024. Pourtant, rien ne le prédestinait à cette vie strasbourgeoise.
Dorjee a vécu au Tibet au début de sa vie. Jeune moine, il travaille alors dans un monastère dans lequel il découvre la cuisine. « Je préparais des repas aux moines plus âgés qui étaient seuls. Ils ne pouvaient pas sortir ni faire de courses », raconte le chef.
Puis le jeune homme prend la décision de quitter ses terres. Après neuf années passées en Inde, il débarque à Paris en 2011, où il fait la connaissance d’une communauté tibétaine.
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Dorjee rejoint ensuite Strasbourg, ville célèbre au Tibet pour la visite du dalaï-lama au Conseil de l’Europe en 1989. Une visite durant laquelle le chef spirituel plaide la cause du Tibet, envahi par la Chine en 1950, devant les instances européennes.
Après l’ouverture de son premier restaurant, Dorjee participe à la création d’une communauté tibétaine dans la capitale alsacienne en 2017. Aujourd’hui, plus de 100 personnes en font partie, dont près de 80 habitent à Strasbourg.
La communauté tibétaine a donc tissé ses liens en Alsace. Dans ses autres établissements, Dorjee a également tenu à installer des compatriotes. « Quelque part, j’ai sauvé trois familles tibétaines en leur permettant de devenir des entrepreneurs », explique-t-il.
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Concernant les autres restaurants qui se sont installés en ville ces dernières années, le chef voit cela d’un très bon œil. « Ce n’est pas de la concurrence. S’il y a une dizaine de restaurants tibétains à Strasbourg, ça ne me pose aucun problème. »
Dorjee y voit au contraire une forme d’épanouissement des siens. « En arrivant en France, les Tibétains travaillent beaucoup et font des tâches ingrates et ils ne gagnent pas de gros salaires », explique-t-il. « Dans les restaurants tibétains, les employés n’ont pas à avoir peur de leur patron, ils travaillent dans une atmosphère saine. Ce sont des sujets qui me touchent. »
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« Ce n’est pas de la concurrence, nous nous entraidons »
Le restaurateur a d’ailleurs aidé ses confrères sur les questions administratives au moment de l’ouverture de leurs adresses respectives. « Ce n’est pas de la concurrence, nous nous entraidons. »
Le développement de la culture tibétaine à Strasbourg s’expliquerait donc en partie par une installation progressive d’une communauté soudée. Et côté assiette, bien sûr, d’autres arguments expliquent ce succès.
Chez Momo Tibétain, un seul plat est proposé à la carte : le momo, un ravioli traditionnellement cuit à la vapeur. « Au Tibet, c’est un repas un peu haut de gamme, un plat de fête, pour le Nouvel An, pour des mariages ou lorsque l’on reçoit des invités importants par exemple », explique Dorjee.
© Jules Scheuer / Pokaa
De la cuisine tibétaine aux spécialités alsaciennes, il n’y a qu’un pas
Farci à la viande ou aux légumes, le momo peut être décliné de plusieurs manières. Le chef y voit un parallèle évident avec la gastronomie alsacienne.
« Nous cuisinons beaucoup avec du porc, du boeuf, du chou, de la pomme de terre, du fromage… Les matières premières utilisées sont très similaires à celles des spécialités alsaciennes », s’amuse celui qui a fait ses armes en cuisine dans un restaurant régional. « La différence principale, c’est le côté épicé du Tibet et l’acidité de l’Alsace. »
La gastronomie tibétaine ne s’arrête bien entendu pas aux momos, mais il est très difficile de faire venir des produits locaux en France. « La Chine bloque l’exportation des produits tibétains. Il n’existe pas de producteurs chez qui nous pourrions acheter ces produits », se désole le restaurateur.
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Seule exception pour Dorjee, le beurre de yack, qu’il parvient à ramener du Tibet dans sa valise, lors de ses voyages annuels. Il y emmène d’ailleurs toujours ses enfants, « pour leur montrer la réalité de ce qu’implique la nationalité tibétaine ».
Pour Dorjee, ses restaurants, le partage de sa cuisine et l’entraide au sein de sa communauté sont autant de manières de « se réapproprier sa culture » !