Constatant toujours un déséquilibre entre son offre et sa demande malgré la réduction de 15 % de son vignoble, Bordeaux se pose la question d’un nouveau plan d’arrachage, qui serait le troisième depuis 2023. Sachant que l’interprofession bordelaise « n’a plus les moyens » de mettre la main à la poche.
C
’est ce qui s’appelle crever l’excès. Ouvrant ce lundi 28 avril par un message vidéo l’assemblée générale du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), le préfet de Gironde, Étienne Guyot, chiffre la réduction du potentiel viticole bordelais : -15 % de ses surfaces avec 18 000 hectares de vignes arrachées entre 2023 et 2025. Après deux plans d’aide à l’arrachage en cours d’exécution (celui sanitaire régional à 6 000 €/ha et celui définitif national à 4 000 €/ha) et des arrachages volontaires (permettant de conserver les autorisations de plantation), le compte n’y est toujours pas indique le préfet.
Se basant sur la réunion de la cellule de crise départementale du 16 avril dernier, Étienne Guyot rapporte que « les participants ont estimé que l’offre et la demande n’étaient pas encore équilibrée. De ce fait, j’ai demandé que l’on puisse objectiver les surfaces supplémentaire qu’il serait nécessaire d’arracher de façon à faire remonter l’information au gouvernement. » Président de la Chambre d’Agriculture de Gironde, Jean-Samuel Eynard annonce que ses services s’engagent à mener un sondage de recensement « des surfaces qui seraient à nouveau demandées par des viticulteurs pour les arracher. Il est vrai que la situation se dégrade tous les jours. Demain, un viticulteur se lèvera en se disant qu’il n’a pas d’autre solution que d’arracher. Et il n’y a pas de solution pour lui aujourd’hui. »
-18 % en 3 ans
Annonçant dans son discours d’AG une « surface de revendication 2025 inférieure à 90 000 hectares, représentant une baisse de 18 % en 3 ans », Allan Sichel, le président du CIVB, se projette sur la suite et met « en parallèle de cette réduction de notre potentiel de production et dans un contexte de forte tension économique* » la mobilisation interprofessionnelle « pour assurer une juste rémunération de chaque acteur de la filière, dans le cadre de la loi Egalim » (via des propositions de loi plutôt qu’une révision globale, faute de visibilité sur le calendrier parlementaire).
Mais c’est bien la question de l’arrachage qui taraude Thomas Fonteyraud, représentant de la Confédération Paysanne de Gironde, interpellant le président du CIVB en fin d’AG pour « connaître la position du CIVB et de tous ses acteurs pour tirer tous dans le même sens et reconnaître que les arrachages primés sont clôturés maintenant et qu’il va falloir un arrachage renouvelé ».
Bordeaux n’a plus les moyens d’un plan d’arrachage complémentaire
« Le préfet a été très sensible à la demande de nouveau plan d’arrachage exprimé » confirme Allan Sichel, pour qui « il s’agit de recenser » afin « de quantifier le nombre d’hectares qui seraient susceptibles d’être arrachés ». Indiquant que l’interprofession bordelaise ne s’est pas positionnée sur un troisième plan d’arrachage « annuel renouvelable », son président affirme que « l’approche et la détermination de revenir à l’équilibre entre l’offre et la demande » mais prévient que financièrement « la filière Bordeaux n’a plus les moyens de remette en place un plan d’arrachage complémentaire. Il faudrait voir comment on serait capable de le financer. »
Adoptés ce 28 avril, les comptes 2024 accusent le coup de l’investissement dans l’arrachage sanitaire (19 millions €) auquel s’ajoutent la baisse des cotisations (20,2 millions € en 2024, -8 % en un an, alors qu’elles frôlaient 30 millions € en 2017) et l’augmentation des créances douteuses (face à la dégradation des recouvrements, faisant passer de 9 à 6 mois le ratio de trésorerie en mois de charges brutes).
Appel à des assises
Rappelant son étude de rentabilité des exploitations viticoles girondines de 2022, concluant que 40 000 ha vendaient à perte depuis 2010, Olivier Metzinger, membre du collectif Viti 33, appelle le CIVB à organiser des « assises de la viticulture » pour mobiliser un maximum d’opérateurs : « plus il y aura de cerveaux, plus il y aura d’idées. On a besoin d’un vrai travail de fond pour sauver cette filière » et « améliorer la rentabilité de nos exploitations qui est le vrai sujet. Pour l’instant, on ne travaille pas là-dessus. Il faut que l’on s’y mette, on n’avance pas assez vite. »
« Je n’ai pas l’impression que l’on reste les bras ballants » réplique Allan Sichel, estimant avoir mené son lot de réunions collégiales alors qu’il faut avancer : « la rentabilité des exploitations est une question mécanique d’offre et de demande. Il n’y a pas d’autres solutions : il faut baisser l’offre, promouvoir et créer la demande » estime le négociant, citant des actions du CIVB à l’export (« Bordeaux expérience » à Tokyo et San Francisco) ou en France (campagne « Bordeaux Crew » sur Wine Paris, opération « Bordeaux se met au verre » dans les restaurants et bars à vin de la capitale girondine…).
Formules incantatoires
Dans son discours Allan Sichel détaille que « chacune des avancées de nos entreprises, chacune des opérations que nous orchestrons sur le terrain, chacune des rencontres menées avec des professionnels ou des consommateurs, doivent être vues comme autant de graines semées, dans l’attente d’une reprise de l’économie ». Entre optimisme et réalisme, le président du CIVB tente la méthode Coué : « reprenons confiance : nos vins plaisent. Dans l’attente d’une reprise économique dont il est aujourd’hui difficile de savoir quand elle s’annoncera, répétons-nous cela comme un mantra. » Autre formule incantatoire de la part du préfet Étienne Guyot : « l’État est à vos côtés et ne faiblira pas ». Reste à trouver les voies et moyens selon le diagnostic d’une crise structurelle semblant toujours plus affectée par les éléments conjoncturels.
* : Chien fou dans un jeu de quilles avec ses annonces successives de taxes douanières, le président américain Donald Trump secoue non seulement le premier marché export des vins de Bordeaux (30 millions de bouteilles et 417 millions € de chiffre d’affaires en 2024), mais aussi l’économie mondiale (et donc la consommation internationale de vins, y compris bordelais). « Même si les 10 % de droit de douane imposés pendant 90 jours par le gouvernement américain entraînent un regain d’activité temporaire, personne ne peut estimer, pour l’heure, leur impact sur les vins européens, ni estimer l’impact d’une potentielle dépréciation du dollar sur les marchés » pointe Allan Sichel, notant que « dans l’expectative, nous ne pouvons que constater l’effet immédiat de cette guerre commerciale sur les bourses mondiales, et ses conséquences inévitables, à terme, sur la croissance, et donc la consommation ».