Par
Baptiste Hue
Publié le
19 déc. 2025 à 12h45
La rugbywoman Mathilde Tapin s’est confiée dans le cadre de notre rubrique « Un sportif manchois revient sur les faits marquants de sa carrière ».
Sa bio
Âge : 42 ans ;
Date de naissance : 1er mai 1983 à Cherbourg ;
Club : Ovalie Caennaise (2001-2012) ;
Palmarès : championne de France 2002, 2 sélections en équipe de France.
Comment êtes-vous venue au rugby ?
J’ai essayé tous les sports, le tennis, le handball, l’athlétisme… En arrivant au lycée agricole de Thère, à Pont-Hébert, un de mes profs a initié les élèves au rugby. C’était Jean-Baptiste Lepuissant (Ndlr : ancien entraîneur à Coutances). Ça m’a plu. En arrivant en BTS agricole à Saint-Pierre-en-Auge, je suis encore tombée sur une prof qui faisait du rugby. Quand elle m’a vu jouer en cours de sport, elle m’a aussitôt dit de venir m’inscrire à l’Ovalie Caennaise ! Et j’ai directement joué au plus haut niveau féminin, en D1. Jeune, ça m’arrivait de regarder le rugby à la télé mais jamais j’aurais cru me retrouver un jour sur un terrain !
Pourquoi le rugby vous a-t-il séduit ?
J’aime bien galoper, les sports collectifs et les sports de contact, ça cochait toutes les cases ! Tactiquement, c’est un sport qui offre de nombreuses possibilités. C’est très enrichissant. Mais, c’est surtout les relations humaines, l’état d’esprit qui sont sympas. L’esprit d’équipe, de camaraderie et la convivialité sont très présents. Aujourd’hui encore, je suis en contact avec les filles avec qui je jouais il y a 20 ans.
Le rugby dégage l’image d’un sport viril, « un sport d’hommes ». Comment votre entourage a-t-il réagi quand vous avez choisi ce sport ?
Au début, ma mère était affolée ! Mais, très rapidement, elle ne manquait plus un seul de mes matches.
« Combien de fois j’ai entendu : c’est un sport de mecs ! »
Cette image de « sport d’hommes » a-t-elle évolué ?
Un peu… mais pas tant que ça en réalité ! Combien de fois j’ai entendu : « c’est un sport de mecs ! », ou « les filles n’ont rien à faire sur un terrain. » C’est quand même difficile de faire évoluer les mentalités.
Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?
La finale du championnat de France de D1 contre Perpignan, en 2005. J’ai eu la chance de jouer au Stade de France, en lever du rideau de la finale du Top 14, entre Biarritz et le Stade Français. Au début de notre match, les spectateurs n’étaient pas encore nombreux dans le stade. À partir de la 2e mi-temps, c’était la folie. Je n’ai jamais joué devant autant de monde. Ça fait bizarre ! On perd la rencontre (3-7), mais ça reste un souvenir mémorable. Toute ma famille était dans les tribunes. Et, pouvoir se changer dans les vestiaires du Stade de France, c’est juste incroyable. Je me rappelle qu’on a bien profité ensuite de la soirée à Paris !
Les 3e mi-temps sont-elles aussi festives chez les femmes que chez les hommes ?
On se défend ! J’ai connu des 3e mi-temps exceptionnelles, des soirées un peu trop arrosées. Je me souviens d’un tout petit bar dans le Sud-Ouest… Quelle soirée ! On savait se lâcher nous aussi, surtout en fin de saison. De manière générale, j’ai vécu des moments magnifiques grâce au rugby, des déplacements en train, à rentrer à 2 heures du matin avec l’école le lendemain… Ça forge la jeunesse !
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Quelle équipe n’aimiez-vous pas affronter ?
Perpignan. Déjà parce qu’il y avait une grosse rivalité sportive. Et aussi par rapport aux commentaires racistes, sexistes et homophobes qu’on pouvait entendre là-bas sur le bord du terrain… Une sale mentalité.
Quel est le gros regret de votre carrière ?
J’ai eu deux graves blessures, en 2005 et 2010, deux fois les croisés. Ça a freiné ma progression. Après la 2e opération, en 2010, j’avais trop d’appréhension sur le terrain. J’ai arrêté en 2012.
« Au bout de deux minutes, j’ai pris un coup de crampon dans la gencive »
Quelle est votre plus grande fierté ?
Avoir porté le maillot de l’équipe de France. Avoir la chance de représenter son pays, porter le maillot bleu, entendre la Marseillaise, c’est quand même quelque chose. J’avais été sélectionnée pour participer à un championnat d’Europe, à Amsterdam. Malheureusement, ça s’est mal passé. Lors de mon premier match, contre les Pays-Bas, j’avais oublié mon protège-dents. Au bout de deux minutes de jeu, j’ai pris un coup de crampon dans la gencive. Je voulais retourner sur le terrain mais le médecin me l’a interdit : on m’a posé deux points de suture ! Lors du 2e match, contre l’Irlande, j’ai joué 20 minutes. Après ça, j’ai uniquement joué en équipe de France A’. Du coup, même si l’expérience était sympa, ce n’est pas le plus beau souvenir de ma carrière.
Est-ce un regret de ne pas avoir été davantage convoquée chez les Bleus ?
Oui, on aurait pu davantage me donner ma chance. Mais, comme j’ai commencé tard le rugby, j’étais en dessous de certaines au niveau technique. Et puis, à l’époque, ils commençaient déjà à chercher des gros gabarits. Moi, je faisais 1,65 m et 64 kilos… Quand on voit les gabarits du rugby féminin actuel, je n’aurais jamais eu ma place !
Justement, quel regard portez-vous sur l’évolution du rugby féminin ?
On voit que la fédération essaye de développer la pratique au féminin. Mais ça reste très compliqué au niveau structurel et financier dans les clubs. Même les filles qui font la Coupe du monde ne sont pas professionnelles. Elles sont obligées d’avoir un travail à côté. Personnellement, je n’ai jamais gagné ma vie avec le rugby. Aujourd’hui, des choses sont mises en place pour que les filles puissent allier le rugby avec les études ou le travail. Mais, même s’il y a plus de visibilité qu’avant, le rugby féminin manque de partenaires. Ça n’a rien à voir avec l’évolution du foot féminin.
Et sur le plan du jeu ?
Le jeu s’améliore, au niveau de la technique, au niveau des impacts. Après, le gros point faible du rugby féminin reste le jeu au pied. Mais, là aussi, ça progresse un peu.
Regardez-vous toujours le rugby ?
Très rarement. J’essaye de regarder les matchs du XV de France, féminin et masculin, mais aussi ceux du Stade Toulousain, car j’adore cette équipe. Mais ce n’est pas systématique.
Dans quel état physique achève-t-on une carrière de rugbywoman ?
J’ai un ménisque qui siffle, mais ça va. Je n’ai pas de séquelles physiques, mes oreilles sont intactes, je n’ai pas eu de commotion. À la fin de sa carrière, il faut continuer à faire du sport pour rester tonique. Je fais du trail.
Quel message adresseriez-vous à une jeune fille qui voudrait se lancer dans le rugby ?
Il ne faut pas avoir peur. Il peut y avoir des traumatismes, mais il faut aussi savoir préparer son corps à encaisser les impacts, se muscler, savoir positionner son dos… De l’extérieur, on a l’impression que ça se résume à un sport de bourrins, où il faut foncer tout droit… Mais c’est très technique, très tactique. Et quand on est porté sur l’aspect collectif, c’est le sport rêvé !
Des packs au lait
Mathilde Tapin habite aujourd’hui à Esson, au cœur de la Suisse Normande, où elle tient une exploitation agricole avec son mari Aurélien. « Des vaches laitières et des céréales », précise cette maman de trois filles (12, 10 et 8 ans), « toutes sportives ! » Cette ancienne élève du collège Saint-Joseph à Cherbourg revient toujours avec bonheur dans son Cotentin natal pour voir ses parents et sa sœur jumelle, Élise.
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