Gustave Courbet (1819-1877)

Le Désespéré, 1843-1845

Huile sur toile – 45 x 54 cm

France, propriété de Qatar Museums Authority

Photo : Wikipedia (domaine public)
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De nombreux responsables du Rassemblement national, parmi lesquels l’un des premiers d’entre eux, Jordan Bardella, se sont publiquement, sur Twitter, indignés de la vente du tableau de Gustave Courbet, Le Désespéré (ill. 1), au Qatar.

Si cette affaire pose de nombreuses questions et peut inquiéter, légitimement les amoureux du patrimoine (voir la brève du 14/10/25), cette position est pour le moins curieuse. Car il y a à peine quelques semaines, les députés de ce parti votaient, avec les Socialistes, le Modem et le groupe Liot, un amendement proposant l’instauration d’un impôt sur la fortune pour les œuvres d’art.

Or, l’affaire du Courbet démontre de manière éclatante la folie d’une telle idée. Car les tableaux d’un prix dépassant les dizaines de millions sont nombreux encore en mains privées dans notre pays, ne serait-ce qu’avec les descendants d’artistes qui possèdent encore des œuvres. Prenons donc l’exemple de ce tableau pour notre démonstration.

Si sa propriétaire avait été taxée d’un montant de 1 % par an de sa valeur, uniquement pour l’avoir détenu, elle aurait dû verser chaque année 500 000 €, rien que pour pouvoir accrocher ce tableau sur son mur. Qui peut penser qu’un particulier, quelle que soit sa fortune, puisse vouloir payer chaque année 500 000 € ou même 100 000 € si le tableau ne valait « que » 10 millions ?

Que se passerait-t-il si cet impôt était mis en place. Évidemment la plupart de ces œuvres seraient vendues, faute pour leurs propriétaires de pouvoir ou de vouloir régler la note. Et ils ne seraient pas vendus en France, puisque les acheteurs seraient taxés de la même manière : ils en sortiraient pour rejoindre d’autres pays où les collectionneurs ne manquent pas, et l’argent non plus, comme les États-Unis, la Chine ou le Moyen-Orient.



1. Gustave Caillebotte (1848-1894)

Partie de bateau, dit Canotier au chapeau haut de forme, vers 1877-1878

Huile sur toile – 90 x 117 cm

Paris, Musée d’Orsay

Photo : Wikimedia (domaine public)
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Bien sûr il existe des possibilités pour l’État français de retenir en France des tableaux de cette nature. On l’a vu par, exemple, pour Le Canotier de Gustave Caillebotte (ill. 2), dont le prix (43 millions) était proche de celui du Désespéré (voir la brève du 29/1/23). Mais qui peut penser que, devant une fuite massive de ces œuvres, l’État aurait la moindre possibilité de les acquérir toutes ? Une des nombreuses conséquences catastrophiques de l’instauration de cet impôt serait donc de faire partir de France les œuvres d’art les plus importantes, sans qu’on puisse les retenir pour nos musées.

Or, quand celles-ci sont vendues de manière espacée, il y a toujours des solutions possibles. À condition, bien sûr, que l’État fasse preuve de volonté, ce qui n’a pas été le cas pour Le Désespéré. Par ailleurs, beaucoup d’œuvres entrent dans le patrimoine public grâce à des dons, soit des dons directs de leurs propriétaires, soit par l’intermédiaire du mécénat. Conservées en France, ces œuvres peuvent dans bien des cas se retrouver sur les cimaises d’un de nos musées. Mettre en place un tel impôt entraînera forcément leur disparition du territoire français.

« Dieu se rit des créatures qui déplorent des effets dont elles continuent de chérir les causes ». Ce constat, attribué à Bossuet [1], s’applique ici au Rassemblement national : on ne peut pas se plaindre du départ d’un chef-d’œuvre lorsque l’on fait tout pour qu’ils quittent la France. Espérons que ses responsables, mais également tous les autres partis politiques, en tireront la leçon qui convient.