Ce jour-là, l’arrivée des agresseurs et la rixe ont été filmées par différentes caméras. Le 11 février 2024, peu avant 21 h, quatorze jeunes issus du quartier de Cronenbourg – répartis dans trois véhicules – se dirigent vers le Quick, rue du Général-de-Gaulle à Schiltigheim, pour en découdre avec deux hommes du quartier de Hautepierre, attablés au fast-food.
Sous les yeux effrayés de clients cherchant à fuir
Les trois premiers étaient entrés pour faire un repérage. Ils en sont ressortis rapidement. Cinq individus, dont certains armés, ont pénétré à leur tour dans l’établissement et sont allés au contact de leurs cibles. Une rixe éclate aussitôt, sous les yeux effrayés de clients cherchant à fuir les lieux, dont une mère de famille et son enfant de deux ans.
La scène qui suit est surréaliste : coups de poing, de pied, de barre en alu, chaises lancées à travers la salle, tables renversées, lacrymogène projetée. Et pour finir, coups de couteau assenés au flanc gauche et à la cuisse des deux victimes.
« On ne peut pas résumer les faits à cette scène d’une minute », prévient la procureure, Vanessa Estieux. Ce règlement de comptes a pour origine un autre épisode de violences, survenu dans la nuit du 9 au 10 février. Ce soir-là, deux jeunes de Cronenbourg profitaient d’une soirée détente avec deux copines dans un Airbnb, lorsque six personnes du quartier de Hautepierre ont fait irruption et les ont sévèrement molestés. Leur motivation demeure un mystère. La magistrate se hasarde à quelques conjectures : « Une dette, une fille, un mauvais regard, parce qu’on ne supporte pas ceux du quartier d’en face. »
Sur une vidéo Snapchat, l’un des blessés, au visage tuméfié, promet : « On va leur niquer leur mère, les gars ! » « Je ne l’ai pas vu comme un appel à la violence », certifie Adam Khettab. Son conseil M e Slim Benchaabane, rappelle que le jeune homme était jusqu’alors inconnu de la justice et évoque « la prégnance du quartier ».
Celle qui fait que, le lendemain, lorsque la rumeur se répand autour du stade de football du Ried que deux des agresseurs sont au fast-food de Schiltigheim, la vengeance s’organise. Les prévenus, impliqués dans la bagarre, assurent n’avoir fait que « suivre le mouvement de foule ».
Selon les codes et règles du quartier
« Quand on vient du quartier, on appartient au quartier, on respecte ses règles, ses codes, mais aussi ses dysfonctionnements, qui consistent à rendre justice soi-même », commente Vanessa Estieux. Face au mutisme des jeunes de cité, la police a dû effectuer un travail minutieux pour identifier certains des agresseurs.
Jeudi 18 décembre, ils sont cinq, âgés de 20 à 22 ans, à devoir répondre de leurs actes devant le tribunal correctionnel de Strasbourg. Dont Mohamad Al Kubtan qui a reconnu avoir asséné « sous adrénaline » les coups de couteau aux deux victimes, leur occasionnant six jours d’incapacité totale de travail.
Son conseil, Me Estéban Glassmann est persuadé qu’au « moment où il se saisit du couteau, il n’a pas l’idée de s’en servir ». Son client « est depuis noyé dans un océan de remords », au point d’avoir développé une maladie.
Me Thomas Steinmetz plaide la relaxe de son client, l’un des deux hommes soupçonnés d’avoir véhiculé la bande sur place. « La vidéo le prouve. Il ne donne aucun coup. Il n’incite à rien, n’a pas appelé à la vengeance. Il reste quelques secondes à 6-7 mètres de la scène et s’en va », analyse-t-il.
Jusqu’à quatre ans de prison
Mohamad Al Kubtan et Kadir Kodat ont été respectivement condamnés à quatre ans et trois ans et demi d’emprisonnement, avec maintien en détention. Adam Khettab a été sanctionné de deux ans, dont un an avec sursis – la partie ferme de sa peine a été aménagée sous bracelet électronique. Un quatrième jeune homme a écopé d’un an avec sursis. Tous ont l’interdiction de paraître au Quick de Schiltigheim et d’entrer en contact avec les victimes pendant trois ans. Et l’interdiction de détenir une arme pendant cinq ans.
Un cinquième prévenu a été relaxé. Son conseil, M e Etienne Steil, s’est attaché à démontrer que le jeune homme de 21 ans n’appartenait à « aucun camp ».