De Bègles-Bordeaux au Portugal en passant par Toulouse, Northampton, le Racing, Marseille, Béziers, Lyon ou Montauban, David Gérard a parcouru bien du chemin depuis ses jeunes années varoises. Amoureux de la grande bleue et de sa ville de Toulon, l’actuel sélectionneur de la Roumanie (48 ans, 1 cape avec le XV de France) a accepté de se confier, face à la mer du Mourillon, sur cette période de sa vie et son départ presque « essentiel » vers le CABBG, en Gironde, à l’été 1997.
Comment êtes-vous tombé dans la marmite ovale ?
Parce que j’étais gros ! Quand ils m’ont vu, ils m’ont dit « Toi, tu ne peux pas faire du foot » (rires). Mon père et mes oncles avaient tous joué à Toulon. Ils ont même connu la première division à Mandelieu, lors de la grosse épopée. Quand tu es issu de ce genre de famille, tu n’as pas forcément le choix. Et puis, le choix, je ne l’avais même pas demandé. J’étais tellement amoureux du sport, de mes oncles et de mon père, que ça a été facile d’y aller.
Vous débutez donc au RCT à l’âge de 5 ans…
J’y ai fait toutes mes classes. J’avais eu les premiers coups de téléphone de Toulouse à mes 14 ans, puis d’autres lors des années qui ont suivi, mais je n’avais aucune intention de partir. Chez les jeunes, j’ai débuté avec Guillaume Delmotte et Pierre Mignoni. On avait « Dédé » Mignoni, le père de Pierre, qui nous entraînait. Je ne m’étais jamais imaginé quitter Toulon.
De quoi rêviez-vous ?
Du bouclier de Brennus. J’étais au stade quand les Toulonnais l’ont gagné contre le Racing (1987) et contre Biarritz (1992). En les regardant, je me suis dit que c’est ce que je voulais faire de ma vie. Je voyais les gens pleurer, hurler… Et mon père passait son temps à me dire que pour le toucher, il fallait le mériter. C’était le trophée ultime. Celui qui faisait la vie d’un rugbyman de haut niveau. J’étais obnubilé par ça.
Vous intégrez finalement assez tôt la première du RCT…
J’étais encore un junior ! C’était contre Dijon. J’étais rentré un quart d’heure et j’avais pété les côtes de Michel Périé qui, pour rappel, était mon pilier gauche ! (rires) Michel s’est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment… Je ne l’avais pas fait exprès. On en avait rigolé après coup. C’était une sacrée époque. Moi, j’étais un gamin au milieu de ces mecs-là. Comba, Dominici… Tu les regardes, et tu te dis : « Mais qu’est-ce que je fais là ? ».
Alors, qu’est-ce qui vous amène à partir ?
Il y avait deux raisons. D’abord, c’était compliqué niveau rugby. Je ne me sentais pas aidé, mais plutôt dénigré. Il y avait eu des discours qui ne m’avaient pas forcément plu et des choix de dirigeants qui étaient plus portés sur le fait de signer un deuxième ligne étranger de 35 ans, plutôt que d’utiliser le capitaine de l’équipe de France juniors. Puis, il faut savoir que je suis issu d’une famille très modeste. Et je savais que si je voulais l’aider, il fallait que je parte. À Toulon, je vivais aux crochets de maman. Elle faisait tout pour moi. Le peu d’argent qu’elle avait, elle me le donnait. Je ne supportais plus cette situation. Je me disais que j’étais un poids pour ma famille. Je suis donc parti loin exprès, pour ne pas avoir envie de vite revenir.
Pourquoi Bègles-Bordeaux ?
Toutes les planètes étaient alignées pour que j’aille à Toulouse. Mais, avec les jeunes du RCT, on fait la demi-finale du championnat Reichel. Et on prend Bègles-Bordeaux, qui était invaincu et avait la plus grosse équipe de la compétition. Sauf qu’on réalise un match dantesque. Avec la finale du Top 16, c’est sûrement le match dont je me souviendrai le plus durant toute ma vie. C’était l’archétype du courage. On avait défendu comme des chiens de la casse. Pour vous dire, on avait tous fini en larmes. L’entraîneur de Bègles était là. Le club m’a contacté et il y a eu un flash entre nous.
Comment avez-vous vécu ce départ ?
J’ai déjà appris à cuisiner et à faire un lit. Tout ça, c’était l’inconnu pour moi. J’ai dû grandir très vite, parce que je ne savais rien faire. Je me suis aperçu que j’étais un gamin. Sur les trois premiers mois, j’ai fait comme une dépression. Parce que j’étais seul et que, tous les soirs, je regardais la cassette de la finale Reichel qu’on venait de remporter avec Toulon. À Bègles, j’arrivais dans un club où presque personne ne me parlait. Certains ne me disaient pas bonjour. Parce que j’étais un Toulonnais, parce que j’étais un gamin, parce que je ne les intéressais pas. J’étais avec des papas qui avaient le double de mon âge. Et ces mecs-là, je n’étais rien pour eux. On me voyait juste comme un concurrent, alors que j’étais un jeune.
Et sur le terrain ?
Il y a eu des blessures à mon poste et j’ai tout de suite commencé à jouer. C’est ce qui m’a mis le pied à l’étrier. Mais ça a été très dur. Au début, j’en ai chié comme jamais. Le nombre de fois où j’ai appelé ma mère en pleine nuit parce que je voulais rentrer à la maison… J’ai switché le jour où j’ai compris que je n’avais pas d’autre choix que d’évoluer.
Était-ce si dur que ça ?
Je n’étais pas prêt pour jouer à ce niveau-là. Je me retrouve titulaire au premier match de championnat, à Auch. C’était l’enfer. Je me dis « Qu’est-ce que je branle là ? ». Puis, je me retrouve à Dax en train de me choper avec Pascal Béraud, que je regardais à la télé. Tout le monde l’appelait Guy Degrenne parce qu’il mettait des fourchettes qui t’arrachaient les yeux. Quand je lui foutais des taquets, j’avais l’impression de frapper du fer forgé. Mais lui, dès qu’il frappait, il faisait mal, ce con (il éclate de rire) ! Je n’étais pas invité. D’ailleurs, j’ai vu la différence quand je suis allé en équipe de France U20. J’avais l’impression de jouer avec des enfants. Tous ces coups pris en peu de temps m’avaient fait grandir.
Et votre retour à Mayol ?
Ça avait été un moment assez compliqué. En entrant sur la pelouse pour m’échauffer, je m’étais fait insulter par toute une tribune. Qu’on se fasse huer parce qu’on était Bègles, ça avait du sens. Mais se faire insulter comme ça alors que j’étais plus toulonnais que 99 % des gens de la tribune… Ça m’avait fait beaucoup de mal. J’étais « Gérard le traître », le capitaine des Juniors qui s’était barré. À la fin, même si on avait gagné le match, je ne ressentais pas d’esprit de revanche. J’étais juste triste d’avoir vécu ça alors que j’avais fait venir toute ma famille.
Auriez-vous pu revenir au RCT ?
J’aurais pu. On m’avait appelé à deux reprises, mais ce n’était jamais le bon moment. Les deux fois, j’étais à Toulouse… Ce n’est pas simple d’en partir quand tu joues.
Quelles attaches avez-vous encore avec Toulon ?
Elles sont nombreuses. Déjà, je m’y sens à la maison. On pense parfois qu’on laisse tout derrière quand on part « faire sa vie » ailleurs. Mais, moi, je n’ai jamais oublié. Je suis toujours revenu ici plusieurs fois par an. C’est comme un rituel. Après, mes attaches sont aussi liées au RCT. Il n’y a pas longtemps, on a célébré l’éducateur Alain Crespo. Je fais partie de ses gamins. Et puis, quand je vois Pierre (Mignoni) entraîner ici, ça me touche beaucoup. Parce que je mesure à quel point c’est important pour lui et que je sais les sacrifices qu’il a faits pour en arriver là. […] Aujourd’hui, je suis tellement heureux de voir ce RCT. Après, c’est sûr que je voudrais le voir encore plus haut. Cette ville, qui reste une petite ville, mérite un club différent. J’aimerais que Toulon devienne une anomalie et qu’on se redise « Mais comment font-ils ? ».
Comment analysez-vous l’opposition de dimanche ?
Le RCT devra mettre une pression exacerbée sur les Bordelais. Il faut leur sauter à la gorge et les empêcher de développer leur jeu de vitesse et de contournement. Sinon, tu ne fais plus que leur courir après et ça devient très compliqué. Leur ligne de trois-quarts va à 2000 à l’heure, donc il ne faut pas la nourrir de munitions. Ce sera un match de conquête et de rucks, où il s’agira de ralentir les ballons au maximum et de leur opposer un style. Tu ne peux pas leur ressembler. Il ne faut pas. Si tu veux faire du Bordeaux, ils seront meilleurs que toi. Donc, il faut accepter ce que Toulon est. C’est ce style-là qui peut gagner. Mais il va falloir faire un match dantesque.
Vous connaissez très bien les deux coachs, Pierre Mignoni et Yannick Bru. Qu’est-ce qui les rapproche et qu’est-ce qui les sépare ?
Pierre et Yannick sont sûrement deux des plus gros bosseurs du championnat de France. Ils ont une énorme capacité à générer du travail. Et ce sont deux fins tacticiens, vraiment. Ce qui les sépare, je pense que c’est leur identité propre. Celle que Yannick essaie de mettre en place à Bordeaux, avec les joueurs qu’il a. Et l’identité toulonnaise de Pierre avec son effectif. Ce ne sont pas les mêmes joueurs et ce n’est pas la même vision du rugby. Pierre a une vision de combat et de pression, de jeu direct et d’alternance avec du jeu en contournement. Bordeaux est plus axé sur du jeu debout, de la vitesse. Ça ressemble un peu aux Toulousains, d’ailleurs. Dans le staff, il y a plusieurs mecs passés par Toulouse. Ce n’est pas un hasard… Mais on sent que Yannick a cette culture du jeu, qui est d’ailleurs étonnante pour un entraîneur ayant joué devant.