Des restos, des restos, encore des restos. Entre 2024 et 2025, la moitié des commerces ayant ouvert dans le centre-ville de Rennes étaient des restaurants, selon l’Agence d’urbanisme de la Métropole (Audiar). Dans un marché ultra-concurrentiel où le turn-over est à l’image du jeu de chaises musicales à la tête de l’exécutif français depuis 18 mois, les patrons de resto rivalisent d’imagination pour se faire une place au soleil.
Le Mensuel de Rennes
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Pas un mois ne passe sans que de nouveaux concepts, souvent éprouvés à Paris ou dans des grandes métropoles, émergent dans la capitale bretonne. Des nouvelles tendances, portées par une nouvelle génération d’entrepreneurs férus de marketing, qui multiplient les établissements et déclinent leurs concepts à l’envi.
Casser les codes
Leur recette ? Casser les codes, proposer de nouveaux plats, peu connus du grand public, ou dépoussiérer des concepts éculés. Benjamin Chedeville a, par exemple, rajeuni la bouffe franchouille pour lui donner un côté branchouille, avec le Béret et sa Bamboche en 2021. Sentant un retour de hype du bleu blanc rouge, d’autres acteurs se sont engouffrés dans la brèche. L’an dernier, c’est la franchise Gueuleton -20 restaurants dans l’Hexagone- qui a lancé son « repère des bons vivants ».
Mis sur les rails il y a quelques jours par les créateurs de Satio, le Bistrot Canaille s’inspire, lui, des bouchons lyonnais.
Qu’on se le dise, en cuisine comme en mode, le made in France cartonne à nouveau. Au point, parfois, d’être récupéré par le marketing identitaire, comme le montre notre enquête sur les banquets français et bretons.
Modèle éculé des brasseries
En cette période de disette, le terroir est aussi décliné à la sauce low-cost. Dix ans après le renouveau des bouillons parisiens, Rennes a accueilli ses deux premiers établissements du genre en 2025 : Bouillon Satio et Bouillon Liberté. Le « pitch » : reprendre les codes de ces anciennes cantines bruyantes et ouvrières de la capitale en servant des plats bon marché, emblématiques de la cuisine française. Signe des temps, certaines brasseries se convertissent aussi au bouillon.
Question de survie. « Les brasseries ne sont plus dans l’air du temps », pointe Gabriele Muti, patron du nouveau troquet italien Carbò, rue Saint-Georges. Fragilisées par la créativité du mouvement bistronomique qui a déferlé sur la capitale bretonne ces vingt dernières années, et par des prix, qui, à plat équivalent, sont deux fois plus élevés que dans les bouillons, elles peinent à suivre la cadence et à répondre au trou d’air dans les portemonnaies des clients.
Le Japon a la cote
La question du pouvoir d’achat, Gabriele Muti l’a, lui aussi, intégrée en proposant de la cuisine de rue italienne « de qualité » à prix modéré. Une tendance forte à Rennes. En 2025, plusieurs établissements ont dépoussiéré la cuisine transalpine et ringardisé les pizzas 4 fromages et autres lasagnes en proposant des plats typiques de toute la péninsule : focaccia, arancini, pizza frite…
Dans le même temps, un véritable tsunami venu du Pays du soleil levant a déferlé sur la ville. Ramens, onigiris, Gyōza… À l’instar des vieillissantes pizzas, les sushis -ultra populaires dans les années 2000-2010- ont perdu de leur éclat au profit de la street-food. « La matière première est plus chère, c’est long à fabriquer et pas donné pour les clients », justifie Anne-Hélène Marquet, patronne de restos proposant de la street-food nipponne et ancienne gérante de resto à sushis. À Rennes, les plats japonais les plus en vogue sont ceux vendus dans les artères de Tokyo ou Osaka. Le succès de la nourriture de rue est tel que le jeune patron Anthony Nguyen, a recréé, dans son nouveau resto Ikimasho, l’ambiance d’une venelle tokyoïte.
« Rien n’est pensé en profondeur »
« Au-delà des plats, les clients cherchent une expérience, avance Anne-Hélène Marquet. Pour se démarquer, il faut un concept, une ambiance. » Et s’adapter aux nouvelles manières de communiquer. Notamment par les réseaux sociaux, inscrits dans l’ADN de certains restos comme Burgouzz, dernier né du youtubeur Valouzz. Le fast-food s’est installé au printemps près de République. Sa spécialité ? Le smash burger. L’objectif ? Concurrencer les traditionnels « burgers de boucher ».
Où s’arrêteront ces nouvelles tendances ? Christophe Gauchet, observateur affûté de la gastronomie rennaise et précurseur du mouvement bistronomique local, reste prudent face à l’essor de ces nouveaux concepts, qui n’ont, selon lui, qu’un temps. L’identité, elle, « perdure ». « On en rigole avec les collègues. Souvent, ces nouveaux concepts, c’est du flan, rien n’est pensé en profondeur. Dans cinq ans, ils s’appelleront autrement, ils proposeront autre chose. »
Reste la question cruciale : quid de la qualité des plats ? L’expérience client, le marketing roi, le ciblage low-cost… Cela implique-t-il nécessairement un nivellement par le bas ? Tout dépend des plats eux-mêmes. Parfois, à l’instar de la street-food italienne et japonaise, l’offre s’enrichit et fait découvrir de nouvelles saveurs. Quoi qu’il en soit, « si on veut perdurer dans un contexte ultra-concurrentiel, on n’a pas le choix, il faut faire de la qualité », assure Anne-Hélène Marquet. Une recette dont l’exécutif français devrait peut-être, lui aussi, s’inspirer s’il compte passer l’année.
