Avec ses 568 licencié(e)s, le Cercle d’échecs de Strasbourg est le deuxième plus grand club de l’Hexagone après celui de Franconville, dans le Val-d’Oise. L’un des meilleurs aussi, avec quelques grands maitres internationaux parmi ses membres et une quinzaine de victoires en coupe de France à son actif. Nous nous sommes glissé(e)s dans les coulisses de cette institution séculaire, mais bien vivante.
Sous les néons blancs, ils et elles sont une vingtaine d’enfants à jouer leur partie dans un silence de cathédrale. Les yeux rivés sur l’échiquier, plus concentré(e)s encore que dans une salle de classe.
Ce mercredi soir de novembre, le Cercle d’échecs de Strasbourg prépare ses jeunes joueurs/ses aux championnats du Bas-Rhin, prévus pour le début de la semaine suivante. Les petit(e)s s’entrainent au rez-de-chaussée tandis que les grand(e)s s’affrontent à l’étage. Un crayon à la main pour noter leurs coups sur l’échiquier.
© Adrien Labit / Pokaa
« Petit, grand, ce n’est pas une question d’âge, mais de niveau. Il y a des enfants de 6 ans qui peuvent affronter et battre des jeunes de 16 ans qui viennent tout juste de commencer », détaille Daniel Roos en courant d’une salle à l’autre.
À quelques jours de la compétition, le président du Cercle d’échecs de Strasbourg n’a pas une minute de répit. Il faut boucler la liste des personnes inscrites, relancer les absentes et répondre aux questions des parents sur le déroulé de la journée. Au milieu de tout ça, le maitre international d’échecs prend le temps d’avoir un mot pour chacun(e) et invite les plus hésitant(e)s à se lancer dans le tournoi.
© Adrien Labit / Pokaa
Plus d’un siècle de jeu
Ancien joueur d’échecs professionnel, Daniel Roos a grandi avec le Cercle d’échecs de Strasbourg. Son père, Michel Roos, l’a présidé dans les années 70. « Il a été champion de France. Ma mère était grand maître international féminin et mes frères, Louis et Jean-Luc, sont tous les deux maitres internationaux et membres du club. C’est un peu comme une famille de cirque », sourit le sexagénaire.
Daniel Roos. © Adrien Labit / Pokaa
Depuis 15 ans, Daniel Roos veille à son tour sur cette institution dans le petit monde des échecs. « Le club existe depuis 1924, mais on trouve des traces d’une Société d’échecs de Strasbourg dès la fin du XIXe siècle dans les archives municipales de la ville », poursuit le président.
Longtemps repère d’initié(e)s avec un très bon niveau, le Cercle d’échecs de Strasbourg a ouvert une école destinée à la formation des plus jeunes dans les années 80. Il permet également à des joueurs/ses amateurs/rices ou confirmé(e)s de continuer à progresser grâce à un large fonds de livres et documents spécialisés.
« Le mardi soir, nous avons une soirée plutôt généraliste, avec des blitz, des parties libres ou des conférences. Un triple champion de France décortique pour nous de jolies parties », explique Daniel. Le mercredi, c’est école des jeunes l’après-midi et analyse de parties puis entrainement des adultes le soir. À 19h, les enfants sortent tout doucement à mesure que les parties se terminent. Certain(e)s restent devant l’échiquier : l’échec et mat n’est plus très loin.
© Adrien Labit / Pokaa
Travailler sans être sûr de gagner
Rites fait partie des parents qui attendent les retardataires. Sa fille, Luz, 8 ans, a découvert les échecs cet été. « Elle a ouvert un jeu sur mon ordinateur et m’a dit qu’elle voulait apprendre à jouer. » Néophyte lui aussi, le père de famille a installé une application d’échecs pour enfants sur son téléphone et s’est lancé dans l’aventure avec sa fille.
« Elle progresse très vite. Sa grande sœur ne veut plus jouer avec elle, et moi je la bats uniquement parce que j’ai un peu plus de concentration. Dès que j’ai un moment, je m’entraine en ligne pour rester au niveau. Je commence à aimer ça. Ça me nourrit moi, et ça la nourrit elle d’avoir un adversaire. »
© Adrien Labit / Pokaa
« Les échecs, ce n’est pas difficile en soi. Mais c’est beaucoup de travail », appuie Eldaniz Babayev, membre du club et coach pour les jeunes de 6 à 16 ans. « Les jeunes qui viennent ici jouent avec nous, mais ils doivent aussi continuer à jouer chez eux. » « Pour un joueur professionnel, c’est la même chose. Il faut travailler 7 à 8 heures par jour », explique Mickael Schroetter, également coach. Jouer puis retravailler ses parties en cherchant les coups à optimiser.
« Une chose que je trouve difficile dans les échecs, c’est que beaucoup travailler ne veut pas dire beaucoup gagner, poursuit Carole Roos, membre du Cercle. On peut avoir énormément planché sur ses parties et perdre une partie que l’on menait depuis deux heures sur un moment d’inattention. »
« Moi, c’est que j’aime dans les échecs, rebondit Eldaniz, c’est la justice. Il y a quelque chose d’aveugle : le jeu ne regarde pas si je suis champion du monde ou pas très bien classé. Si je perds, c’est que j’ai fait une erreur. »
© Adrien Labit / Pokaa
L’effet « Jeu de la Dame »
Une manière positive de le prendre, « c’est que l’on peut toujours progresser », glisse Mickael. Daniel Roos en garde un rappel utile dans son bureau : la plaque en bois d’un tournoi où il avait essuyé une série de défaites, à l’âge de 14 ans.
« Lorsque des enfants entrent dans mon bureau me disant qu’ils veulent arrêter les échecs parce qu’ils ont perdu à un tournoi, je la leur montre », sourit le président, qui a récemment fini troisième des championnats du monde vétérans en équipe.
© Adrien Labit / Pokaa
Peu avant 20h, le club s’anime à nouveau pour le cours donné par Mickael Schroetter. Au programme de la soirée : un retour sur des parties jouées au dernier tournoi du club. La salle peine à contenir l’assemblée, qui accueille ce soir-là quelques nouvelles têtes. Le Cercle d’échecs de Strasbourg a vu ses inscriptions se multiplier après la diffusion de la série Le Jeu de la Dame.
« Une très très bonne série, du point de vue de Daniel Roos. Techniquement c’est impeccable, et les joueurs y sont très bien observés. »
« Il y a eu une première vague d’adhérents et l’on pensait que cela allait retomber ensuite, poursuit Daniel Roos. Mais il y a eu une deuxième vague. Ce sont des gens qui viennent du net pour faire un point sur ce qu’ils ont vu en ligne. »
« De nombreuses personnes pensent qu’il suffit de beaucoup jouer pour progresser, poursuit Mickael Schroetter. Alors qu’il faut aussi pouvoir échanger et analyser ses parties. »
© Adrien Labit / Pokaa
Une discipline sportive
C’est précisément l’objet du cours du soir. Sur l’échiquier aimanté, Mickael rejoue des parties devant une assemblée captivée. Comment gérer ses ouvertures ? Comment déployer ses pièces intelligemment et quelles sont les erreurs à ne pas faire ?
À plusieurs reprises, le coach se tourne vers l’assemblée pour demander « quel aurait été le meilleur coup à jouer à ce moment précis de la partie ? ». Et l’on se prend au jeu de résoudre l’énigme. Voire même, l’on se surprend à trouver la réponse. « Aux échecs, on cherche à aller au plus simple, au plus efficace, glisse Eldaniz. Il s’agit surtout de trouver le bon chemin. »
© Adrien Labit / Pokaa
À la fin du cours, les joueurs/ses s’installent devant les échiquiers. Adrian fait partie de ceux dont la partie a été analysée quelques minutes plus tôt. Après avoir appris les échecs lorsqu’il était petit, il a longtemps joué seul ou en ligne. « Mais seul, je ne pouvais pas avancer. Je restais amateur. » C’est après être arrivé au cercle en 2024 qu’il a pu progresser et commencer à jouer en compétition.
« Ce que j’aime et que j’ai découvert avec le temps, c’est que c’est plus qu’un jeu : c’est un sport. Il y a une dimension d’entrainement que je ne soupçonnais pas, avec des tactiques ou des combinaisons de coups à pratiquer au quotidien. »
© Adrien Labit / Pokaa
« Si l’on n’aime pas perdre, ce n’est pas le bon jeu. Mais si on persévère, on apprend des choses. » Et l’on crée des liens, à en juger les discussions et les rires entre deux affrontements. « On assassine son copain et on reste copains », sourit l’adversaire d’Adrien avant de se concentrer sur ses pièces pour commencer une nouvelle partie. Aux blancs de jouer. Pion en E4. Pion noir E5. Et la suite à inventer.