COMPTE RENDU D’AUDIENCE – Condamné en 2012 pour un meurtre sordide sur fond de règlement de comptes entre voyous, Luc Onfray comparait cette semaine devant la Cour d’assises de Nice pour parricide. Il est suspecté d’avoir tué son père en 1995.

Il s’assied seul, raide, sur la première rangée de la salle d’audience. Corps frêle, chemise pâle, barbe blanche fournie qui contraste avec un crâne dégarni, regard acier derrière des lunettes rondes. À 60 ans, Luc Onfray n’a plus grand-chose du criminel qu’il fut. Et pourtant, trente ans après la disparition de son père, le «meurtrier au mixeur» doit répondre ce lundi d’un parricide devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes, à Nice.

Déjà condamné en 2012 à trente ans de réclusion pour avoir tué et dépecé Michel Renard, passé en morceaux dans un mixeur de cuisine dans le cadre d’un sordide règlement de comptes entre voyous, l’homme est accusé d’avoir tué son propre père, Gérard Onfray, témoin de Jéhovah zélé, qui n’a plus donné signe de vie depuis la nuit du 25 juin 1995. Ce soir-là, après une violente dispute ponctuée d’insultes – «Jusqu’à quand seras-tu un parasite ?», avait-il lâché à son fils alors en pleine dérive délinquante et qui avait pris ses distances avec la congrégation -, l’homme de 72 ans s’était volatilisé sans papiers, sans un sou en poche et surtout sans sa précieuse bible qu’il ne quittait presque jamais.

Un témoignage accablant

Devant la cour, Luc Onfray nie en bloc. Froid, détaché, il balaie les accusations avec vigueur et une certaine forme de dédain. «Je ne vois pas de quels faits vous parlez», évacue-t-il auprès de la présidente qui l’interroge. «Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? L’homicide dont vous me parlez, il n’a jamais existé», poursuit-il la tête haute. Pourtant, un témoignage pèse lourd : celui de Philippe Rosso, son ancien complice de braquage. Ce dernier affirme que l’accusé lui aurait confié au moment du meurtre à coups de marteau de Michel Renard : «Quand on a tenu la tête coupée de son père entre ses mains, plus rien ne vous fait peur». Un ramassis d’inepties à en croire le mis en cause.

Dans une salle d’audience presque vide, les débats sombrent dans l’étrange, c’en est parfois gênant. Les membres de la famille qui défilent à la barre – ceux encore vivants – sont tour à tour muets, vagues, visiblement peu désireux de s’ouvrir à la cour et d’éclairer les débats. C’est aussi que l’affaire est ancienne, bientôt trente ans, les mémoires s’effritent. «On est presque dans l’archéologie judiciaire», observe la présidente. Un cousin, qui «ne se souvient de rien», un frère qui «fait beaucoup de méditation» pour oublier, un autre qui concède que leur père «aurait été capable de partir sans prévenir», même sans ses lunettes de myope… Devant ces murs, qui confinent parfois à l’indifférence, la présidente hausse le ton : «On ne se pose pas beaucoup de questions dans cette famille !»

Exaspération

L’un des frères évoque un manque de communication dans sa famille pour justifier sa relative passivité dans les jours suivant la disparition de son père. «Dont acte, dans quelle famille n’y en a-t-il pas. Mais il s’agit de la disparition de votre père du jour au lendemain dans des circonstances troubles !», poursuit la présidente. «Pourquoi troubles ?», se contente de lui répondre son interlocuteur. La magistrate reste bouche bée. «Pour moi, il était parti, j’ai continué à faire ma vie comme ça», déclare-t-il sans émotion particulière. L’exaspération est palpable. À chaque réponse évasive la magistrate insiste, relance, s’étonne. L’avocat général en rajoute, arrose les témoins de questions malgré l’impatience de l’avocat de la défense. En vain.

Luc Onfray, lui, campe sur ses positions. Il est innocent, quasi-persécuté, victime d’une machination fomentée par Rosso, son ancien comparse qui n’aurait, dit-il, «par un cerveau normal». «Je suis dans la même certitude que ma mère et mes frères», affirme-t-il, comme pour mieux engluer l’affaire dans un épais secret de famille. Les expertises psychiatriques et psychologiques menées ces dernières années dépeignent un profil étrange. Selon les experts, Luc Onfray présente une «froideur affective évidente», sans trouble psychotique ni altération du discernement. Structuré, cohérent, il se montre capable d’ajuster son discours à ses interlocuteurs, usant de «pirouettes provocatrices» pour esquiver toute mise en cause directe.

Manque de logique

Selon lui, son père n’a pu que partir de lui-même, sans doute en Afrique du Sud ou en Amérique latine. Après tout, n’avait-il pas répété pendant des années à son épouse : «Quand les enfants seront grands je partirai». Il n’aurait que mis à exécution un plan préparé de longue date. Mais personne à l’audience ne semble croire à cette folle théorie. Pas même l’un des frères Onfray qui confesse un manque de «logique» devant chaque incohérence que lui présente l’avocat général. Mais la logique n’a ne semble-t-il pas sa place dans ce dossier. Ce dernier, âgé de 56 ans, seul des trois frères toujours dévoué aux Témoins de Jéhovah, ne chargera pas son grand frère Luc. D’autant moins que celui-ci est revenu s’installer à ses côtés au domicile familial depuis sa libération en 2021…

En réalité, tout accuse le mis en cause mais rien ne le confond : des traces de sang jamais formellement attribuées, son inertie lors des recherches au moment de la disparition de son père, son passé de braqueur et de meurtrier. L’homme, diagnostiqué dépressif mais pleinement responsable, déroute par ses provocations : «Bien sûr, je suis un magicien, je fais disparaître les gens !» À défaut d’aveu ou de preuve irréfutable, c’est donc à un faisceau d’indices et à une atmosphère saturée de non-dits que devront se fier les jurés. Le verdict est attendu mercredi.