Il y a des comportements qui cachent une angoisse nommée Fofo, acronyme de Fear of Finding Out. Un psychologue clinicien nous éclaire sur les mécanismes psychiques à l’œuvre.

Ouvrir ou ne pas ouvrir ses résultats d’analyse. Prendre rendez-vous ou repousser encore. Ce nœud au ventre face à la possibilité de lire ou d’entendre une mauvaise nouvelle porte un nom : le Fofo, acronyme anglais de Fear of Finding Out, soit la peur de découvrir quelque chose, le plus souvent une maladie. Le phénomène n’a rien d’anecdotique. Aux États-Unis, une récente enquête de la Prevent Cancer Fundation, menée auprès de 7.000 adultes en août 2025, montrait que seuls 51 % des Américains ont effectué une consultation médicale de routine ou un dépistage sur l’année, soit 10 % de moins qu’en 2024. En France, le recul est tout aussi préoccupant. Ainsi, le taux de participation au dépistage du cancer du sein est en diminution depuis 10 ans – toutes tranches d’âge et régions confondues – et n’a jamais retrouvé son niveau de 2012 (52,3%). En 2025, cette angoisse du médecin est tellement répandue que l’acronyme Fofo s’est installé dans le langage commun, au point de figurer parmi les mots de l’année selon l’application d’apprentissage des langues Babbel. Mais que se joue-t-il derrière ce refus de consulter ?

L’angoisse de la mort en toile de fond

Pour Antoine Spath, psychologue clinicien et auteur de Tu crois que c’est grave ? (Éd. Larousse), cette peur n’a pourtant rien de nouveau. «Le syndrome Fofo n’a aucune valeur médicale, en revanche ses symptômes font partie d’une pathologie préexistante, c’est une forme d’hypocondrie», souligne-t-il. Comme l’explique le spécialiste, l’hypocondrie se manifeste de deux manières opposées : soit par une multiplication des consultations médicales, soit par un évitement total. «Le Fofo correspond clairement à ce second versant», assure Antoine Spath. Concrètement, les personnes concernées repoussent leurs rendez-vous chez le généraliste, annulent leurs examens médicaux ou retardent leurs prises de sang, par peur d’apprendre une mauvaise nouvelle.


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Mais alors pourquoi certaines personnes préfèrent vivre avec une angoisse latente plutôt que d’affronter une vérité médicale qui pourrait les soulager ? «Chez l’hypocondriaque, la peur fondamentale se trouve derrière l’annonce de la maladie, car elle revient finalement à se confronter à la figure de la mort. Et c’est cela qui nous angoisse le plus», analyse le psychologue. En effet, nous avons tous, à un moment ou un autre, ressenti ce type d’appréhension avant un examen médical. Alors comment distinguer le «normal» du pathologique ? «Quand cela se répète souvent, répond le psychologue, quand la peur ne cesse pas après deux ou trois semaines, et quand aucun constat médical ne vous rassure.»

Les profils à risque

Certaines trajectoires de vie rendent plus vulnérable à cette forme d’hypocondrie. «On retrouve souvent des personnes qui ont été surprotégées dans l’enfance, avec des parents qui dramatisent en permanence les risques, ou au contraire des individus confrontés à un environnement familial très dur dans leur rapport au corps, dont les plaintes ont été autrefois minimisées», précise Antoine Spath. Et sans surprise, les personnalités anxieuses sont également plus concernées par le Fofo, tout comme celles ayant été confrontées à des expériences médicales traumatiques. «Le fait d’avoir vu un proche gravement malade ou d’avoir assisté à la déchéance de quelqu’un peut générer ensuite par rebond une angoisse hypocondriaque», constate le psychologue.

Un phénomène amplifié par notre époque

Il ne faut pas nier non plus le contexte actuel. Si ce comportement refait surface aujourd’hui sous la forme d’un acronyme, il est fruit de plusieurs facteurs convergents. «Il y a une surmultiplication des contrôles médicaux et une angoisse généralisée depuis le Covid, observe le psychologue. La prévention omniprésente est devenue parfois contre-productive. Plus il y en a, plus cela réactualise une crainte chez certaines personnes».

Internet et les réseaux sociaux jouent aussi leur partition. «Les forums dédiés, où se retrouvent les personnes les plus anxieuses en quête de réponses, créent un effet boule de neige. Plus vous cherchez des informations sur une angoisse, plus vous allez trouver d’autres personnes pour y adhérer et l’alimenter», prévient Antoine Spath.

Les pistes thérapeutiques

Vivre avec un Fofo n’est pas sans impact sur le quotidien. «La personne vit de manière très désagréable sa vie, elle est toujours sujette à des angoisses permanentes», décrit le psychologue. L’entourage trinque aussi. «C’est quand même très fatigant pour les proches», constate le spécialiste. D’autant plus que l’hypocondriaque s’enferme souvent dans un cercle vicieux relationnel. «Il s’entourera toujours de personnes censées le rassurer, précise Antoine Spath. Mais ce besoin de réassurance est un puits sans fond. Vous réussirez à l’apaiser pendant quelques heures et puis les angoisses reprendront ensuite».


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Comment se soigner ? Selon le psychologue, la prise en charge repose sur une double approche : médicamenteuse d’abord, avec notamment la prescription d’anxiolytiques et/ou d’antidépresseurs qui «peuvent aider, notamment à long terme», et psychothérapeutique ensuite. «Pour les personnes malmenées dans la reconnaissance de leur corps, les approches psychothérapeutiques avec une dimension corporelle comme la relaxation ou l’hypnose peuvent aider à se réapproprier ce corps en confiance», assure Antoine Spath. Un travail de longue haleine pour accepter une vérité toute simple : on ne choisit pas d’être malade, mais on peut choisir de se soigner.